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4è­¥ de couverture :

La première chose que Julius remarque dans l'entrebâillement de la porte, c'est le clignement des yeux. Raphaël a un tic nerveux. Le vieil homme en est désarçonné l'espace d'un instant. Pourquoi ? Qu'espérait-il ? S'attendait-il vraiment à trouver sur le palier un archange immense déguisé en éphèbe, chevelure blonde, regard pervenche, bouche en forme de bractée vermeille ?... Et pourquoi pas flanqué de deux ailes de séraphin se déployant dans la cage d'escalier ? C'est ridicule.

Une nouvelle fois, Julius a été victime de son imagination. Le jeune homme n'est qu'un petit gars ordinaire, le teint pâle, les cheveux en broussaille (avec pourtant ici et là des mèches blondes du plus bel effet), et ses prunelles lancent d'étranges éclairs saccadés...

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Extrait :
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(…) Le plus difficile : débuter une nouvelle journée. « Une de moins », soupire le commun des mortels. Une de plus en moins jubile Julius ; c’est sa formule, et, sous sa couette, il savoure chaque matin le compte à rebours fatidique.

Dommage qu’il y ait l’ennui, ça gâche tout. Une nouvelle journée… Mardi ? Mercredi ? Quelle importance ? Aucune, puisque chacune de ses journées est identique. Si, en fait, tant qu’on est encore dans le circuit, en place dans l’organigramme, il est important de se souvenir de la date, de se situer dans l’existence. Un calendrier, un agenda, des anniversaires à souhaiter, des repères immuables, Noël en décembre, les soldes en janvier, le défilé sur les Champs la semaine prochaine, etc. Un semblant d’organisation pour baliser la course à l’abîme. On est donc vendredi, voilà un point acquis.

En fait, ce qui préoccupe Julius, ce sont les réflexes de sa mémoire. Ça dérape quelque part, c’est parfois ramollo, son cortex fuit comme une passoire rouillée. Oui, ses réflexes lui semblent amoindris. L’âge ou la maladie ? La morphine… à moins que ce soit l’Imovane ? Pourtant, il ne force pas la dose. Mais il y a eu surtout le terrible coup de semonce : le cauchemar, son cauchemar de la nuit de samedi.

« C’était pendant l’horreur d’une profonde nuit. » Merci, Racine ! Ce fut tout à fait ça, l’avant-dernier week-end. Julius avait fait un rêve inquiétant, plus exactement, paralysant. Il se trouvait dans un dortoir, au fin fond de la Bretagne. Ses camarades le secouaient pour le réveiller et lui, tout jeune enfant, les suppliait en pleurant. C’était une souffrance énorme, une panique, une avalanche de sanglots et de hoquets : « Mais où suis-je ? Je ne me rappelle plus qui je suis… ce que je fais là… pourquoi est-ce déjà l’heure ?… Qui êtes-vous ? Qui êtes-vous pour moi ? Aidez-moi ! Je vous en supplie, aidez-moi ! » Et les autres insistaient, leurs bourrades d’aînés devenaient moins amicales : « Lève-toi, lève-toi tout de suite, c’est l’heure ! » Malgré la camisole chimique qui lui procurait un sommeil de plomb, Julius était parvenu à émerger de ce cauchemar comme un malheureux albatros emmazouté. Mais, ô terreur, lui-même était désormais contaminé par son rêve. Englué dans son propre cauchemar. Julius ne parvenait plus à se situer pour de bon, - dans le réel – il ne parvenait plus à articuler ni son nom, ni même son prénom, ni son âge, ni la période de son existence, ni la ville où il était censé habiter, ni cette chambre inconnue. Rien. Le trou noir. Julius ne parvenait plus à reconstituer le puzzle de son existence. Hagard dans son lit, il bataillait, tentait de ressouder les contacts dans son cerveau chloroformé. Peine perdue. Alors, comme un automate muet, terrorisé par cette amnésie existentielle, égaré dans un no man’s land vertigineux, pour s’accrocher à une berge tangible avant de s’enliser tout à fait, le vieil homme s’était mis à palper son propre corps, ses cheveux ras, l’orbite de ses yeux, ses joues ruisselantes qu’il massait et étirait jusqu’à sentir l’os de la mâchoire et le crochet de la prothèse déboîtée. Affolé, il palpe maintenant sa gorge, ses aisselles, ses bras amaigris, son ventre chaud. Ses doigts s’enroulent enfin autour de son sexe flapi. Mort-vivant ? Mort ? Vivant ? Vivant. C’est cette touffeur mouvante – si peu mouvante - qui l’a peu à peu rassuré, qui a décongelé son identité. C’est l’instinct des viscères qui, dans la chaleur complice du duvet d’oie, avait ranimé sa vigueur cérébrale, le fameux ordinateur si performant qui avait été piteusement battu en brèche par un songe absurde. Car pourquoi la Bretagne ? Pourquoi ce dortoir du séminaire qu’il pensait avoir oublié à tout jamais ? Pourquoi ? Pourquoi ? Pourquoi moi ? Qui est « moi » ? C’est quoi tout ce moi qui part en lambeaux ? Julius avait mis beaucoup de temps à s’extraire de cette délitescence de la conscience. Tâtonnante et laborieuse mise en phase des connexions. Puis, peu à peu, l’éclaircie cérébrale, toutes les pièces du puzzle péniblement désensablées et vaille que vaille ressoudées. « Je m’appelle Julius… un appartement à Paris… Paris Ouest… écrivain à la retraite…enfin, retraite forcée… à sec… complètement foutu… ma solitude… le départ d’Andrews… quand, au fait ? Il y a douze ans ? Déjà douze ans ? Plutôt dix… » (Souvenirs cotonneux. Ah ! Cette paresse des associations…)

Julius est à présent tout à fait réveillé. Exténué et grelottant. Ce long combat mental, qui n’avait peut-être duré en réalité qu’une fraction de seconde, a été une de ses plus rudes épreuves. L’angoisse fondamentale : le rien, le néant, le zéro absolu. Ne plus dire, ne plus penser, ne plus pouvoir penser « je », ne plus ressentir « je ». L’impuissance absolue, la suprême démence, le début de la déchéance. Mais pourquoi s’était-il alors débattu ? Pourquoi n’avait-il pas pu consentir à sa propre dissolution ? C’était l’occasion ou jamais, un peu inconfortable certes, mais inespérée. Couler en pleine nuit, proprement. Ni vu ni connu. S’éclipser discrètement au détour d’un mauvais rêve, après quelques soubresauts de résistance. Un effroi à peine douloureux, plutôt une sorte d’anesthésie globale, à peine gênante, pas même douloureuse, juste sidérante pour l’orgueilleux cerveau lucide mais inopérant. Pourquoi avait-il alors regimbé ? Pourquoi Julius s’était-il débattu ? La peur du noir ? Le poids du silence sur sa poitrine haletante ? Ou était-ce son imagination qui s’était emballée au quart de tour ? D’ordinaire, de nuit comme de jour, rien n’effraie plus Julius – du moins il le prétend -, ni la solitude, ni les courants d’air, ni les formulaires administratifs ni les menaces de grève, ni les billetteries automatiques ni la crétinerie universelle, rien, rien de rien, absolument rien, pas même son cancer, ni sa fin qu’ils disent prochaine… Peur de rien, c’est entendu, mais alors pourquoi une telle panique ?

Sentir sa fin prochaine, comme le riche laboureur, on ne peut pourtant rien demander de mieux. Il est donc requis de ne pas résister. C’était l’occasion rêvée de se faire la belle ! Trop las, trop lâche. Une fois encore, Julius avait été lâche, pas à la hauteur. Pitoyable. Son instinct de conservation avait été une fois encore le plus fort. Comme il haïssait en lui ce geôlier sadique, comme il s’accrochait pourtant à ses basques au point de le courtiser en douce ! Pitoyable Julius, non seulement pédé, mais lèche-cul du destin ! Oui, cette nuit-là, une fois de plus, il avait lâchement capitulé. Il avait eu peur, tout bonnement, tétanisé de terreur et il s’était débattu pour remonter désespérément à la surface car il avait touché du doigt le naufrage absolu : le naufrage du moi. Cette chose que vous appeliez « moi », ce misérable « moi », ce simulacre d’existence, toute cette viande qui pense, défroque pitoyable, dépouille hypothéquée et déprogrammée de toute éternité… Voilà que son propre corps se désagrégeait, le cerveau se liquéfiait à son tour et tout se fondait dans la brume : ni passé ni futur, ni jeune ni vieux, ni gagnant ni perdant, ni âme ni corps ni esprit ni rien du tout, plus rien, pur rien, nada… NADA. Est-ce cela la démence ? Les prémices d’Alzheimer ? La folie, plus redoutable que l’agonie ? Les deux à la fois ? - Tout doux, l’ami : rien de nouveau sous la lune, tout est dans l’ordre des choses. Pas de quoi s’indigner ni faire la fine bouche. Ça tremblote et ça radote juste avant les couche-culottes ? Normal, non ? Dans l’ordre des choses… Mais Julius - c’est son excuse - manquait d’entraînement, non de détermination. Sur le point de devenir rien, il s’était débattu, il avait paniqué, il avait lutté. Normal aussi, non ? Comme la biquette de Monsieur Seguin. Sauf que lui, provisoirement, n’avait pas été bouffé tout cru. Il avait été indocile, et même lâche, c’est entendu, mais le plus fort – ô mort, où est ta victoire ? – provisoirement le plus fort et cette vanité un peu sotte avait une douceur de péché véniel.

Donc encore en vie. Avec un soupçon de vexation, soit. Mais un brin de contentement. Provisoirement en vie. Recroquevillé sous la couette, ce dimanche-là, Julius était sonné, partagé entre gratitude et dépit. Valeureux Julius ! Le premier à encenser la mort libératrice et le premier à avoir eu peur du noir et à crier « Maman ! ». Julius Minus frissonnait à présent. Echoué sur la grève. Si pitoyable. Si couard. Si las d’être lâche… Il ne lui restait plus néanmoins qu’à prendre son mal en patience, avec son analgésique fétiche : la musique, quelques mesures de musique. De quoi émerger en douceur en se dilatant de plaisir. Envie de se dorloter un peu, encore un tout petit peu. C’est permis, non ? On était dimanche après tout, la trêve enfin, le Jour du Seigneur. Chienne de vie, qu’elle carillonne, qu’elle ressuscite ! Qu’il baise mes lèvres, mon doux Sauveur ! Qu’il arrête la civière, qu’il me dise « Ephatha ! » et qu’il me guérisse, s’il le peut, s’il l’ose, mon doux branleur galiléen ! En fait, Julien n’avait pas envie de blasphémer, c’était juste un souvenir clérical – l’anamnèse proclamait-il alors du maître-autel du haut de ses trente ans - juste un relent d’encens, quelques notes de cromorne au positif de l’orgue… Tout ça est si loin. Dans une autre vie… Aujourd’hui, l’essentiel pour Julius, c’est de remonter la pente. En douceur et en musique. Adagio cantabile. Car la musique, c’est sa vie… sa survie… nuit et jour dans le temps qui fuit… La vie et en même temps l’ennui, l’ennui qui jouit… Musique émolliente. Confidence. Connivence. Ni tristesse ni désespoir en fait. Plutôt une langueur pleine de nostalgie. Comme l’enfance. Comme la solitude. Comme la mort. Mais que sait-on de la mort ? Qu’en savons-nous ? Qu’en sait Julius ? Rien et il n’en avait que faire ce fameux dimanche matin, au sortir de son rêve dissolvant. Résigné, rasséréné, Julius avait eu le bon réflexe, le seul : tendre sa main décharnée sur le drap pour saisir la télécommande. Que la musique soit ! Et la musique fut. Et ce fut le matin, un autre matin. Et voici qu’une prime lui était même offerte : au lieu d’une ogresse wagnérienne, le violon de Wolfgang ! Miracle ! La musique de Mozart, le silence de Mozart… car le silence qui s’ensuit - le silence mozartien - c’est encore de la musique accompagnant l’extase.

(Extrait du chapitre III)


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Raphaël s’affaire à ses fourneaux et Julius ne le quitte pas des yeux. Le garçon arbore un polo bouton d’or et un immense short kaki surplombant deux baskets monstrueuses. Quelle mode étrange ! se dit Julius. Quel manque flagrant d’harmonie ! Comment un jeune gay peut-il mettre en valeur ses formes postérieures, surtout quand elles sont déjà menues par nature, si la taille du pantalon flotte au-dessous du fessier tandis que l’ourlet chatouille le mollet. Pour couronner le tout, un immense tablier amidonné (Julius ne s’en est jamais servi) que le cuisinier a enfilé sans façons pour ne pas se tacher.

- Je peux te poser une question, Raphaël ? N’es-tu pas un peu à l’étroit dans ton short ? Tu fais vraiment peine voir.

Raphaël se retourne, le regard rieur, une casserole dans une main, une spatule dans l’autre.

- Vous n’aimez pas ? En fait, vous voulez me mettre en boîte ! C’est pas mon fute, il appartient à Nico. Les fringues, c’est pas trop mon truc, et comme l’été ne dure que deux mois, je ne vais pas faire de frais. Alors, je lui ai emprunté.

- Qui est ce Nico ?

- Un copain. Un bon copain… Je l’ai rencontré à la piscine et on bosse de temps en temps nos cours de l’année dernière.

- Ah ! Je vois… Deux petits jeunes gens très studieux et qui se prêtent gentiment leurs effets…

Raphaël a rougi légèrement en touillant sa sauce. De toute évidence, il ne souhaite pas s’attarder sur le sujet.

- Rien de plus facile que les pâtes au Nutella. Vous voyez, j’ai d’abord fait cuire les nouilles sans huile ni sel. C’est très important. Surtout ne pas saler. Ensuite, j’égoutte… (Raphaël joint le geste à la parole)… je les remets dans la casserole, toujours pas de matière grasse… Je rajoute par contre du Nutella, à profusion. Bon, la couleur est étrange, mais, vous allez voir, c’est hyper bon. A table !

L’apprenti cuistot déverse dans les assiettes le magma brunâtre. Julius observe attentivement, stoïque. Raphaël a failli se jeter sur son plat préféré, il se ravise et attend son invité en le stimulant d’une voix engageante.

- Allez-y, monsieur Julius. Je vous assure, c’est un régal.

- Je n’en doute pas et je n’ai pas peur. Tiens, avant de commencer, peux-tu ôter ton tablier ? Je ne supporte pas de voir quelqu’un en tablier au moment du déjeuner… J’ai de vieux principes : les bras nus à table, les lunettes de soleil… (un flash alors qu’il porte la fourchette à sa bouche : Martyn, l’été, sur la terrasse… Leurs éternelles disputes à propos de son torse dénudé. Julius ne cédait pas, pas avant la chemisette réglementaire et il le regrettait presque aussitôt quand disparaissaient sous la cotonnade les épaules rondes, mordorées, si apéritives…)

- Vous rêvez ? Un étrange goût venu d’ailleurs, n’est-ce pas ?

- Excuse-moi. J’étais absent, juste un souvenir… Oh ! oui, je t’aime mieux comme cela, avec ce polo couleur de soleil. Tu es resplendissant, sais-tu !

Les yeux de Raphaël clignotent. Pour réfréner son trouble, il fait mine de savourer en fermant les yeux.

- C’est royal, n’est-ce pas ? Vous voyez, pour vous, c’est simple à cuisiner. Et en même temps, c’est assez raffiné. La nouille seule, ça a peu de goût, c’est d’une banalité affligeante. Mais avec un peu de pâte à tartiner, le tour est joué. Qu’en pensez-vous ?

Julius acquiesce de la tête. Il mange très lentement. Il ne déguste pas, il s’alimente. Par obligation, et aujourd’hui par obligeance : Raphaël a bien travaillé, il s’est appliqué pour lui. Julius a pressenti dans son zèle un peu brouillon, non seulement de l’enthousiasme, mais une pointe d’orgueil et beaucoup de gentillesse. A force de manger en solitaire, de grignoter plutôt, de mastiquer avec application dans un silence sépulcral, Julius avait oublié cette sensation de se sentir accueilli et étonné. Bichonné pourrait-on dire. Ce môme s’est plié en quatre pour lui, le vieux grincheux de service ! A présent, il n’a vraiment pas le droit de faire le difficile. A l’évidence, ce plat exotique n’est pas ce qu’il préfère, il ne subsistera pas dans ses annales (La gastronomie ! Il y a belle lurette…) mais par contre, la vision de ce mirliton… Si on lui avait prédit il y a deux mois qu’il aurait encore la force de dévorer des yeux un ravissant maître-queux si alerte, si exubérant, si enthousiaste, si outrageusement vorace, si délicieusement inélégant dans son accoutrement d’adolescent attardé… Pas de désir mal placé bien sûr, surtout pas à son âge, non, juste une euphorie rafraîchissante, un bien-être plein de candeur, une béance à un événement simple et joyeux, un rien surréaliste et totalement improbable.

(extrait du chapitre 8)


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- Je voulais vous dire, Julius… J’étouffe avec la chemise que Nico m’a prêtée. Ce n’est pas ma taille. Surtout l’encolure et ce satané nœud papillon. Je sais, vous êtes strict sur la tenue, mais si je pouvais juste…

- Ah ! J’attendais ta révolte ! Bravo, ton stoïcisme a duré assez longtemps. Mais il y a des limites à tout, n’est-ce pas ? Même pour faire plaisir à l’ancêtre ! En fait, j’avais tout prévu mais j’ai fait durer le supplice un peu trop longtemps. Tu ne m’en veux pas d’avoir été un petit peu sadique ?

Raphaël ouvre de grands yeux. C’est vrai qu’il est rougeaud notre ange, sans ailes pour s’éventer ! Qu’est-ce que Julius va encore inventer ?

- Va dans la chambre du fond. Tu trouveras sur le lit un paquet. Ouvre-le et essaie… Prends ton temps. C’est mon cadeau d’anniversaire. Mon premier, car j’en ai prévu trois. Tu vois, on ne compte pas quand on aime. Beati possidentes !

Le gosse s’est éclipsé. Julius savoure son latinisme parfumé à l’Armagnac. Il le savoure d’autant plus qu’il en détourne à présent le sens. Les yeux fermés, la gorge en feu, il déguste : bienheureux, non ceux qui accumulent le vent dans leurs outres percées, mais celui qui se dépossède de soi. Seul. Royal. Volontaire. Complot délectable que Julius a ourdi en sa faveur contre la cohorte des crédules. Quel tour pendable il va leur jouer ! Tous ces idolâtres ! Tous dans le même sac, les enturbannés de la Foi, les croisés de la Morale, les sectionnés de la Torah et tous les autres coquins, dans le même sac, bien étanche, serré, ficelé. Et qu’ils hurlent dedans et se débattent, qu’ils se battent entre eux, qu’ils se lacèrent jusqu’au sang, qu’ils dépècent le cadavre de Dieu comme des hyènes puantes…

Réminiscence fulgurante. Le sac de jute. La cave. Le bassin de ciment. Son beau papa si nerveux. Le cérémonial cyclique auquel l’enfant assistait en cachette : la noyade des chattons. En grappe, yeux clos, petites bouches roses, cris éperdus durant l’empaquetage. Puis l’écoulement du temps… Sa jouissance horrifiée. Sa détestation des chats. Déjà sa fascination de la fin. Fin de tout. Plus rien. L’espoir qui crève, le sens qui fuit, l’amour dégonflé, l’espoir qui miaule, l’ultime soir s’éternisant… et le verre du condamné. Mais quel verre ! Un alcool de trente ans d’âge, ce n’est pas rien tout de même. Un petit rien en avant-goût du grand Rien. Futé et jouissif, non ?

A brèves gorgées, les yeux clos, Julius lape l’instant qui fuit.

(extrait du chapitre 17)


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Mot de l'auteur :
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Michel Bellin raconte :

"Fin 2002, mon premier éditeur me titille : lancez-vous dans le roman, osez, ne perdez pas haleine… Alors ce fut Le Messager écrit en huit mois (de janvier à fin août 2003) avec des hésitations… des doutes… des larmes. En fait, mon éditeur me laissait carte blanche après avoir apprécié les deux premiers chapitres. Le roman, c’est plus compliqué que la nouvelle, il faut davantage construire, progresser, creuser… et la fin m’effrayait à l’avance. Le plaisir d’écrire est encore plus fort, ressemblant parfois à un délicieux tourment. La fièvre d’écrire, quand vous vous levez à deux heures du matin ou que, nerveux, vous griffonnez sur un coupon de métro pour ne pas perdre le seul mot juste, oui, l’écriture quelle jubilation, quelle angoisse, quelle volupté ! Ce livre que j’avais entrevu quelques années plus tôt sans réussir à lui donner forme, voilà qu’il prenait vie… qu’il s’emparait à nouveau de MA vie ! Car Le Messager n’est pas un banal roman. S’il fallait trouver une étiquette (est-ce bien nécessaire ?), je dirais que c’est une « autofiction… d’anticipation » . Julius ? C’est moi dans une dizaine d’années, c’est le vieux con que je risque de devenir si je n’y prends pas garde, si je ne trouve pas à temps la bonne solution. Car rien ne sert de mourir, il faut partir à point. Et « la mort heureuse » - avec un Raphaël nu contre son propre flanc, corps encore présentable, avant la déchéance - peut-être est-ce la bonne solution. La plus courageuse ? La plus lâche ? A chaque lecteur de trancher. Une chose est sûre : mieux vaut mourir heureux que malheureux. Et mieux vaut mourir malheureux que ne pas mourir du tout ! Car les bonnes choses ont une fin. Il faut savoir savourer la fin et le vieux Julius, comme tous les héros de mes nouvelles érotiques (les Vladimir, Rachid, Frédéric, Isidore et même le bandant Cédric dans son fauteuil roulant), oui, Julius le patriarche, veut TOUT savourer jusqu’au bout : il est si fasciné par son propre néant, il y croit si fort, il l’espère si ardemment, qu’il entend l’anticiper dans la volupté. Pour renaître à ce néant béni, Julius prévoit de convoquer à l’heure qu’il a choisie tous ses plaisirs extrêmes – musique, gastronomie, jeunesse, beauté, homosensualité… - et veut les enjoindre de s’engloutir sur-le-champ. A l’instant-éternité des croyants (toutes religions confondues, « la cohorte des crédules » comme il les appelle), Julius oppose son éternité-néant. Sa mort choisie serait l’apothéose de l’instant-néant. « Serait »… Au début du livre, deux mois avant la fin programmée du vieillard cynique, c’est encore un conditionnel car le sémillant Raphaël survient et les choses se mettent à changer. La vie se conjugue désormais au présent. La vie redevient multicolore et savoureuse. Car le jeune homme est si pétulant, si impatient, lui, de croquer la vie, d’aimer, de prendre son envol… mais il ne sait pas bien comment s’y prendre ni qui il est au juste… Pédé ou, plus prudemment, bi ? Et si Julius consentait à l’aider à voir clair ? Et si le jeune homme pouvait en retour l’accompagner jusqu’au bout du voyage ? Et si Julius consentait à vivre ? Et si et si… Et si les miracles existaient encore, même pour les vieux apostats ? Tel est mon dilemme, tel est l’argument du roman, , telle sera la chute inexorable dans le vingtième chapitre sur fond de Mahler et d’Iggy Pop… "


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Revue de Presse :
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Tout semble commencer de façon ordinaire : la rencontre de deux générations, deux univers : celui d’un jeune étudiant, Raphaël, en quête d'un job d'été et celui d’un vieillard acariâtre, monsieur Julius, replié dans ses souvenirs. Bref, rien de transcendant à priori .Pourtant dès les premières pages du roman, ce sentiment de "déjà-vu" disparaît. L'auteur, au contraire de nombreux écrivains gay, n'est pas un simple créateur de fantasmes, loin de là. Son style, son assurance et la qualité de sa recherche sont là pour le prouver.Dans ses pages, Michel Bellin nous entraîne donc dans l'ambiance feutrée et surannée de l’univers de monsieur Julius, ex-séminariste (faut-il y voir quelques symboles autobiographiques?), devenu écrivain et aujourd'hui à la retraite. Une retraite forcée à cause d’un cancer qui le ronge chaque jour de plus en plus et le pousse à un cynisme exacerbé. Plus rien ne le rattache à la vie : bien au contraire, il aspire à disparaître dans le néant, sans toutefois être tout à fait sûr de pouvoir y faire face. Véritable descente aux enfers à l'image de Dante sur fond d'aria… Prélude à la mort .Incapable de pouvoir affronter seul les besoins de son existence quotidienne, monsieur Julius se voit alors obligé de faire appel aux services d’un aide à domicile qu’il imagine, en esthète épicurien, sous les traits du "David". Ce ne sera pourtant pas Michel-Ange, mais plutôt Donatello, qui répondra aux désirs du vieil homme lorsque Raphaël sonnera à sa porte. Qu'importe, le principal est de n’être plus seul et le jeune étudiant pétillant semble pouvoir faire l'affaire. Investi de sa nouvelle mission, Raphaël se sent pousser des ailes jusqu’à devenir cet archange qui accompagnera Julius jusqu'au bout, qui lui fera franchir la porte de cet au-delà jusqu'alors si effrayant et pourtant inéluctable

Histoire d'une rencontre, celle d'un vieil homo repu de vie et d'un jeune homme à qui la vie tend les bras. Histoire d'une fin qui s’enchaîne sur celle d’un début. Découverte, transformation, affirmation. Histoire de la vie : naissance, mort, renaissance. Le tout écrit avec talent et force références philosophiques, esthétiques, littéraires et musicales. Loin d’être un simple roman, le "Messager", comme son titre l'indique, est le porteur d'un message, un message d'espoir et de beauté… Le message de la Vie.

Critique de Jean-Marie L’Auxerrois

Sur le site GAYBelgium (Novembre 2003)

Après deux recueils de nouvelles érotiques euphorisantes, Michel Bellin aborde le roman, et c’est une réussite ! Le Messager, cousin de Mort à Venise, met face à face, le temps d’un été, Julius, âgé et très malade, et Raphaël, jeune gay en fleur et homme de ménage. Une belle œuvre sur le partage, la transmission, et la part de l’art et de… l’ange dans une vie.

Marc LE QUILLEC

TETU, janvier 2004

Critique dans monchoix.net

Raphaël aurait pu être un ange. Il en porte déjà le prénom et semble en avoir l’innocence. Sa mission ? s’occuper de Julius qui vit dans le souvenir de son ami, et dont la maladie le ronge chaque jour un peu plus. Raphaël veut rouvrir Julius sur la vie. Ensemble ils forment un drôle de couple. D’un côté, Raphaël, en train de se découvrir, et qui transmet sa musique à Julius ; et de l’autre, Julius justement, qui sent sa vie s’échapper. Lui sa musique, c’est Lizt, Mozart…Le temps d’un été, ils vont apprendre à se connaître… mais un été dure deux mois… un été, comme toute bonne chose, a une fin…

Michel Bellin nous livre là un premier roman très agréable à lire, semi roman d’initiation sur une véritable histoire d’amitié entre deux hommes que quasiment tout oppose.

Critique dans GAYSTOUSE

Tout commence de façon "classique" : un jeune étudiant en quête d'un job d'été, un vieillard acariâtre vivant confiné dans ses souvenirs, la rencontre de deux générations, deux univers… Bref, rien de transcendant à priori. Pourtant dès les premières pages de ce roman, ce sentiment de "déjà vu" disparaît. Ne serait ce par le style et la richesse "littéraire" de l'ouvrage. Très vite comprend t-on que nous ne sommes justement pas dans du "déjà lu", surtout dans le domaine de la littérature gay. L'auteur n'est pas un "faiseur de phantasmes", loin de là. L'auteur sait écrire et cela se ressent très vite. Michel Bellin nous entraîne donc l'ambiance feutrée, surannée de Monsieur Julius, ex séminariste (faut-il y voir quelques symboles autobiographiques ?) devenu écrivain aujourd'hui à la retraite. Retraite forcée, celle d'un homme blessé atteint d'un cancer qui le ronge chaque jour de plus en plus et le pousse à un cynisme exacerbé. Plus rien ne l'attache à la vie et d'ailleurs c'est ce néant qu'il attend chaque jour sans pour autant oser l'affronter… Véritable descente aux enfers à l'image de Dante sur fond d'aria… Prélude à la mort. Car notre homme, non seulement de vivre dans un 200 m2 croulant de livres, d'objets d'art et de souvenirs est aussi mélomane et musicien, mais un musicien à l'image de son vieux piano à queue à jamais fermé ; Ne pouvant "gérer" ce domaine à lui seul, Monsieur Julius se voit obligé de faire appel à un aide à domicile. Un David espère t-il en secret puisque esthète, épicurien de surcroît. Ce ne sera pourtant pas Michel-Ange mais plutôt Donatello qui répondra aux désirs de notre vieil homme lorsque Raphaël sonnera à la porte de notre mentor. Qu'importe, le principal est de ne plus être seul et ce Raph pétillant fera l'affaire. Il fera tellement l'affaire que très vite les ailes lui poussent le transformant en archange, celui qui accompagnera Julius jusqu'au bout, celui qui lui fera franchir la porte de cet au-delà jusqu'alors si effrayant et pourtant inéluctable.

Histoire d'une rencontre, celle d'un vieil homo repût de la vie et d'un jeune homme à qui la vie ouvre les bras. Histoire d'une fin : celle de Julius. Histoire d'un début : celle de l'affirmation d'un homme en tant qu'homosexuel se découvrant. Histoire de la vie : naissance – mort – renaissance. Le tout manié avec talent et force de références philosophiques, esthétiques, littéraires et musicales. Loin du simple roman, le "Messager" comme son titre l'indique est porteur d'un message, message d'espoir et de beauté… Le message de la Vie.

Article de J2M

Article paru dans le magazine "RG" (Canada)

(octobre 2004) et sur leur site internet.

Julius est atteint d'une maladie incurable. Pour l'accompagner dans ses derniers moments, il place une annonce dans un journal gai pour trouver un jeune homme qui pourra combler quelques petites tâches et remplir sa solitude quelques heures par semaine dans son appartement parisien. L'élu sera Raphaël, un ange qui ne représente pas la grande beauté physique comme Julius se l'imaginait. Or, Julius découvrira une autre beauté, celle de l'intérieur, qui resplendira de toute sa force au fur et à mesure qu'ils se connaîtront. Pour Julius, il n'est pas question de sexe, que d'un besoin d'une présence amicale et affective à ses côtés. Julius, un intellectuel, un rationnel, ne partage aucun sentiment avec Raphaël depuis le début de leur rencontre. Cependant, lorsqu'il est seul, Julius, cloué sur son fauteuil ou son lit, reconstitue quelques bribes de son passé avec beaucoup d'émotions, surtout lorsqu'il se rappelle son amant disparu. L'ange accompagnera malgré lui le malade vers un autre monde, dans la paix et la sérénité de l'âme, ce que Julius souhaitait ardemment.

Vous vous doutez bien que ce récit aborde un contenu très différent de ce que nous sommes habitués de lire dans un roman gai. Il s'agit ici d'une oeuvre littéraire digne de mention, un livre d'une qualité exceptionnelle. L'auteur soulève avec habileté et finesse de profondes questions sur la vie et la mort. J'ai même éprouvé quelques difficultés à lire des passages tellement le texte me remuait et me troublait. Michel Bellin a démontré qu'il possède un véritable don pour rédiger un texte d'une grande beauté. Un livre dérangeant certes mais nécessaire si l'on veut réfléchir sur le sens de la vie.


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Sur son blog national (avril 2010), l'ADMD (Association pour le Droit de Mourir dans la Dignité) recommande ce livre exceptionnel qui aborde le trépas (programmé) en exaltant... la Vie. C'est là son paradoxe et son impact émotionnel : "Rien ne sert de mourir, il faut partir à point. Une chose est sûre : mieux vaut mourir heureux que malheureux. Il faut savoir savourer la fin.

Une belle œuvre sur le partage, la transmission, et la part de l’art et de… l’ange dans une vie. Le tout écrit avec talent et force références philosophiques, esthétiques, littéraires et musicales. Loin d’être un simple roman, le "Messager", comme son titre l'indique, est le porteur d'un message, un message d'espoir et de beauté… Le message de la Vie."

Jacqueline SALENSON, déléguée de l'ADMD Hérault et administratrice, a confié à l'auteur son enthousiasme : " Je me suis régalée à lire vos deux livres [Le messager et Émois, émois, émois] et j'espère que d'autres en profiteront. Bien sûr, votre propos pourra choquer les anti-homo mais tant pis ! L'idée de se faire accompagner par un ou une jeune les derniers mois de la vie ma paraît réjouissante. Cette idée que jeunes et vieux se comprennent, se complètent... L'un part, l'autre commence sa vie mais va bénéficier de la "trace" du précédent, parfois (souvent ?) mieux qu'en famille ! Mais vous savez écrire tout cela bien mieux que moi."


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