''La féminité relève du secret, le masculin de l'obscène. Tout ce qui est ambigu est féminin. Tout ce qui n'est plus ambigu est d'ordre masculin. Telle est la différence sexuelle qui n'est ni dans le sexe ni dans la biologie.''

BAUDRILLARD

" LAISSE TES MAINS..."

Fantaisie érotique autofictionnelle



Cette fois, c'est fait. Tout est accompli. Jusqu'à la lie. Pour la première fois de ma vie, j'ai maté un porno hétéro avec la sculpturale Monica recommandée par mon beau-frère, son héroïne préférée. Et pourquoi pas ? Ma guérison est peut-être à ce prix. Si tu n'essaies pas, tu ne sais pas. Et puis, c'est important de connaître les goûts des autres, de la majorité hétéronormée, ceux de mon beau-frère aussi. Car il ne me juge pas, plutôt gentiment s'apitoie. Gérard a l'air heureux en ménage et sa femme est vraiment sexy.

C'était donc une première pour moi, sans zapper, sans flancher, du début jusqu'à la fin. De A à Z. Pas un très grand mérite car, à peine un quart d'heure, c'est la durée qui me convient habituellement pour un film de cul. (Sauf que sur mon site préféré, ce sont des quarts d'heure multipliés par 10. Passons.) Avec Monica, inventive autant que lascive, le spectacle se laissa voir sans déplaisir ni émotion. Sans curiosité non plus. Je me sentais à l'extérieur de l'action, à la différence d'un porno homo où je participe au crescendo, où je m'identifie, où je vibre, où je communie... avant d'éclabousser le clavier.

Comme prévu, mon test corporel fut clair : en bas, le plat pays. Morne plaine. Waterloo, degré zéro. J'ai trouvé que le visage de la dame était quelconque, assez inexpressif, alors que le minois du jeune gars était attirant. Donc, sur l'écran, la babouinerie s'est déroulée sans surprise, sans émoi, sans véritable dégoût non plus, et je me disais, philosophe à mon corps défendant : en fait, rien de nouveau sous le soleil, c'est juste un orifice qu'il faut bourrer, par devant ou par derrière. Voici la sexualité humaine. Juste une affaire de trou(s). Normal, la nature a horreur du vide. Une sexualité un peu plus raffinée que chez les autres mammifères. Normal, l'Homme est le roi de la création. La femme aussi, elle qui offrit la pomme. Mais ce fut le mâle qui croqua les pépins. Bref, qu'on croie ou non à la Bible, cette gymnastique donne de l'excitation et du plaisir. Est censée en donner. Même si l'ennui naquit, dit-on, de l'uniformité. Après, in fine, la variante (le démonte-pneu qui évacue l'antigel entre deux airbags tressautants) pourquoi pas ? Un classique. Et cette curiosité de ma part, un brin jalouse : une femme, même pro, suce-t-elle aussi bien qu'un mec ? Peut-être. Pourquoi pas ? Il y a partout des surdoué(e)s ! Bref, à chacun son plaisir. Par ailleurs, jusque dans quelle mesure, la jouissance de l'une comme de l'autre n'est-elle pas habilement simulée ? Stimulée par la caméra. Comme dans un banal porno gay. Décidément, rien de nouveau sous le soleil bis. Ces comédiens, tous des fripons ! Mais, dieu merci, le cinéma reste un voluptueux traquenard... quand on ne lorgne pas trop du côté des coulisses où abondent trucages et mirages.

Ceci dit, en couleurs ou en noir et blanc, sur papier, sur écran ou dans un plumard… demeure le coït. Pendant très longtemps, ce mot m’a fait peur. Infâme. Obscène. Imprononçable. Rien que le tréma est menaçant ! En tout cas une réalité physiologique mystérieuse car bourrée de paradoxes et de perplexité. Donc, le sacrosaint Coït conjugal ou pornographique. Et hétéronormé, pour faire simple. Voyons cela. Qu’un monsieur introduise frénétiquement sa grosse zigounette dans le zip-coucoui d’une dame, j’avoue avoir de plus en plus de mal à mesurer la portée existentielle de cette opération. Face à cette énigme béante, on comprend que la plupart des mâles s’acharnent à approfondir la question, en ahanant et en fermant les yeux (tout préoccupés qu’ils sont à leur propre volupté qui monte qui monte). Quelques-uns, dépités ou lucides, ou à jamais dégoûtés comme moi, laissent précocement tout tomber. Quant aux mantes amantes, par pure bonté d’âme ou par condescendance féminine voire féministe, elles font souvent mine en gloussant de s’extasier du cadeau Bonux, faute d’atteindre le Saint Graal. C’est l’imbroglio. Le malentendu. Les mal baisé(e)s. C’est surtout le cercle vicieux, autant fièvre ardente que quête inassouvie. Le serpent n’a plus qu’à se mordre la queue. Et nous sommes bel et bien au rouet, d’étreintes en étreintes, de coït en coït : qu’un monsieur introduise sa zigounette dans le zip-coucoui d’une dame etc. etc. Ah ! que n’écoutons-nous pas plutôt la grande Simone : « Aimer d’un amour pur, c’est consentir à la distance. » Mais qu’est-ce qu’un amour pur ? Qu’est-ce qu’une copulation impure ?

Du coup, je me disais encore, songeur, un peu assombri, entre l'ami (bi) et moi-même, pourquoi du Sexe entre nous, et hard en plus ? Pourquoi ne pas en rester à la tendresse, à la sensualité soft, aux doux câlins... Sauf qu’Éros, à peine enclenché, c'est une folle spirale... un engrenage fatal. Suffit de commencer par s'embrasser d'une certaine façon. Ensuite, impossible de freiner, de modérer, de juguler ! Impossible de rembobiner le film en voulant faire marche arrière. C'est plutôt le sprint impitoyable ! À moins de porter tous les deux une ceinture de chasteté, comme dans les temps anciens, mais cet accessoire médiéval de continence ne se trouve pas sur le marché, nulle trace dans Men Addicted, mon catalogue fétiche. Misère, misère ! Et du coup, une prochaine rencontre avec mon amant n'est-elle pas par avance piégée ? Souhaitable ? Si urgente que ça ? Insondable perplexité... Hétéro ou homo, le Sexe est décidément un piège... délicieux ! Le contourner ou y tomber ? Qui vivra verra.

Fin du porno. Je me sens piteux devant mon écran. Rassuré sur ma propre sexualité, toujours atteint de mon maudit complexe (de supériorité), mais un peu piteux tout de même. Disons décalé, vraiment à part, hors majorité silencieuse. (Qui ose crier sur les toits qu'il apprécie le porno ?) Dépité comme un vieil enfant qui ne parvient toujours pas à apprécier la rhubarbe — déjà ma mère s'en offusquait et me réprimandait. Mais je n'y peux rien. Vraiment. Impossible de me forcer. Impossible d'apprécier les natures vraiment mortes : les seins des femmes sont pour moi d'horrifiques gourdes laitières. Petites ou grandes, leurs lèvres d'en-bas sont d'abjectes muqueuses. Et L'origine du monde est pour moi le tableau le plus nauséabond et le plus surfait de toute l'histoire de la peinture occidentale. Encore une fois, pardon maman, j'y peux rien. C'est toi qui m'as fait comme ça. Pardon pour la rhubarbe. Pardon pour les nanas. Ma nature commande quand la méthode Coué débande. Et je n'ai toujours pas compris pourquoi, depuis tout petit, j'ai toujours préféré les roses litchis et les bananes Gros Michel !

En attendant, finies les jérémiades, basta les galipettes, c'est l'heure du café avec, après, dans la tasse encore chaude un doigt de gnôle... pour me remettre de mes émotions. J'en ai rudement besoin. Quelle épreuve ! Au fait, j'allais oublier de donner ici (à l'intention de tous les amateurs de tests psychosensoriels) le nom de ma formatrice de stage accéléré pour vieil ado retardataire et anormal : Monica Reccaforte. Au cinoche, je préfère Monica Vitti, mais c'est un tout autre menu, dans le genre "Art et Essai soporifique". Mais LA Reccaforte ! Quelle femme ! C'est vraiment une grande pointure. Et le titre de la séquence était romantique à souhait, dans le genre romance tendre et câline que j'adore fredonner en lapant le fond alcoolisé de ma tasse : « Laisse tes mains sur mon manche ». Un must.

Qu'importe, Monica, je l'ai eu ma revanche : tu seras ma première dernière chanson !

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Extraite du générique de la séquence porno, la célèbre chanson peut s'écouter ici. Le tube de l'été 2021 ! https://youtu.be/Jg3wBAfTMOk