Il m’arrive ces jours une chose assez nouvelle, une sorte de mue subreptice et plutôt délicieuse, quoiqu’inattendue.

Je suis en pleine période de contrôle technique. Non, il ne s’agit pas de l’automobile que je n’ai jamais possédée ni conduite, mais bien de ma carcasse ! Un carcinome enlevé lundi dernier, opération de la cataracte 1 mercredi prochain, cataracte 2 la semaine suivante… Eh bien, est-ce la conséquence de ce ravalement de façade, je me sens désormais davantage « vieux ». Non pas comme une malédiction, mais comme une sorte de mue bienvenue : il s’agit désormais d’habiter mon âge, d’en faire, non pas une déchéance programmée, mais une sorte de nouveau cycle de vie. J’ose le mot : une nouvelle chance à saisir.

Quelle sera la marche à suivre ? Grosso modo, transformer le tabou de mes 76 automnes, pour en faire un atout. Comme un élargissement vital. Tout le contraire d’un déclin ! L’admettre, l’intérioriser, et le prouver allègrement. Et c’est ainsi que depuis quelques jours, les conséquences gentiment s’enchaînent : j’ai décidé entre autres de mettre un point final à mon œuvre littéraire qui m’aura tout de même occupé pas mal d’années, depuis 1996. Un ultime livre sortira prochainement, une sorte de tiré à part de 40 pages intitulé : « Mes autoéditions — Misères et splendeurs d’un auteur-loser. » Cet opuscule aussi incisif que lucide pourrait servir à la fois de postface ou de préface à mon œuvre prolifique qui compte une bonne trentaine de titres. Comme il est écrit page 9 : « Les bonnes choses ont une fin, rien ne sert d’écrire ni de mourir, il faut juste partir à point. » Et, je te le garantis, ami lecteur, le sentiment d’allègement et de mission accomplie, est ineffable !

Évidemment, il n’est pas question que le corps (le sexe) capitule. C’est mal me connaître ! De ce côté-ci, même si rien n’a changé puisque je n’ai pas, pour le moment, l’âge de mes artères mais celui de ma libido, il n’empêche, là aussi, un ajustement s’imposait. C’est pourquoi, sur mon site de rencontres coquines, l’accroche vient d’être modifiée, désormais mieux ciblée : « Un daddy, ça te dit ? » Et au lieu d’une épître de 5000 caractères, une petite annonce de cinq ou six lignes, puisque décidément, le temps se fait court et que là aussi la littérature doit s’adapter : non pas d’interminables laïus, mais un post bref et incisif. Du coup, le suspense est relancé et c’est la vie qui à nouveau embraie ! Car, dieu merci, rien de changé dans mon emploi du temps : lundi, c'est ravioli ; mardi, orgasmothérapie ; mercredi etc.

Autre indice de maturation intérieure : j’ai repris le livre qui m’avait agacé il y a deux ou trois ans que j’avais fini par abandonner… et j’en tire aujourd’hui profit car il s’agit de « La voyageuse de la nuit » de Laure Adler (Je le recommande ici. Chez Grasset, l’opus existe aussi en poche.) Même si on est vieux essentiellement dans le regard des autres, même si je ne fais pas mon âge, même si le vieillissement est davantage un sentiment qu’une réalité… il n’empêche, le corps, plus que l’âme (qui n’existe pas) se rappelle à votre bon souvenir. Et, sous le pansement, la balafre sur ma joue droite me le rappelle, non pas cruellement, mais avec une sorte de satisfaction espiègle : à mon âge, une nouvelle tronche de pirate sanguinaire ou de Duc de Guise, pourquoi non ? Et n’est-il pas bon, disons normal, que la chair, tout comme l’âme (qui n’existe pas bis) dévoile, certes sans ostentation, ses propres cicatrices ? Toujours attendrissantes. Comme la merveilleuse patine mordorée sur les vieilles toiles. Ainsi s’écrit la vie. Ainsi s’accomplit ma vie. Si possible en beauté et en bonté. D’abord à mes propres yeux. C’est ainsi que décline le temps qui passe, parfois lasse, un jour trépasse : je vieillis, donc je vis. J’ai vécu, donc je suis. J’ai aimé… et, même à un âge avancé, j’aimerai encore. Et je baiserai toujours ! Et je m’enthousiasmerai encore bien davantage ! C’est canonique, donc c’est fantastique.

En résumé, certes les années s’empilent tandis que le corps décline… Mais, au lieu d’être une fatalité, on peut prendre sa « revanche » au moment de se sentir vieux. En se faisant de plus en plus confiance. En conquérant une sorte de verdeur. En savourant un allègement de l’existence. Mais sans escamoter les années qui passent (qui restent ?) ni tricher ni pavoiser. In petto et incognito. En se redisant, chaque matin, que la jeunesse continue de respirer en vous car le temps l’a laissée intacte.Pour finir, être vieux, c'est être jeune depuis plus longtemps que les autres, non ? Donc, un jour de plus… en moins, quelle aubaine ! Plutôt que l’enfance, en ce qui me concerne, même s’il me plaît de « regrimper en enfance », plutôt le retour à l’adolescence, ce merveilleux âge d’or impertinent et frondeur. Comme je l’écrivais récemment dans l’introduction de mon ultime livre FLIP-FLOP paru en juillet dernier, le jour de mon anniversaire :

« (…) Plus que l’enfance et son écœurant sirop, l’adolescence ébouriffée et ses herbes sauvages… Avec l’obsession de tout comprendre tout de suite, d’aimer pour toujours et de ne se renier jamais. L’adolescence pour l’insolence. Pour l’écart. La fragilité aussi… Après tout, ne restons-nous pas son âme secrète… même si elle a pris du ventre ! Que la vieillesse ne soit donc jamais un avachissement consenti, un démenti en marche arrière, encore moins une trahison ! C’était le vœu de Lars Norén et c’est devenu le mien, vaille que vaille : « J’ai attendu patiemment de devenir vieux. Parce que cela pouvait être un moyen d’échapper à ce que les gens attendent de vous. »

Ainsi sois-je. Et qu’ils attendent longtemps encore !

Périgueux, ce 05 octobre 2023.