Complainte de Gaza

''Notre passé est une tragédie, notre présent est un calvaire, mais heureusement, nous n'avons pas d'avenir.

Dicton palestinien''

___

Dans les ruines de Gaza mon cœur est éventré ma jeunesse écrabouillée tout espoir lézardé sur les murs de Gaza

Dans les ruines de Gaza des veuves aux yeux mouillés toutes en rides et ravines gémissent des Inch Allah une armée d’amputés des nuées d’orphelins de beaux vieillards hagards mais dignes et tant de fiers héros tirés comme des lapereaux pour avoir défendu les tunnels de Gaza

Dans les ruines de Gaza trop jeune pour combattre ou pour déguerpir mes projets un à un s’écroulent mes nerfs sous haute tension sont nuit et jour dénudés mon amour de la vie a vraiment dépéri sous les ruines de Gaza Dans les ruines de Gaza seuls les écrans plats entre deux matchs de foot ou de sirupeuses séries font miroiter la Suède et le Canada aussi la France eldorados sans Tsahal ni checkpoints peut-être la bague d’une riche et compatissante étrangère pour fuir les ruines de Gaza

Dans les ruines de Gaza je sue l’ennui je tue le temps je veux vieillir en accéléré pour survivre moins mal et avec Omar et Mahjoub on rigole on bricole on rêve on suppute nos chances on met des shekels de côté mais mon cœur est un no man’s land car mon jasmin a flétri dans les ruines de Gaza

Pourtant au milieu des ruines de Gaza j'ai vu ce matin deux enfants rire aux éclats dans une auto-tamponneuse bleue qui les secouait en faisant tutut et pouêt-pouêt oui j’ai vu cette antiquité venue d’on se sait où cette épave ahurissante peut-être tombée d'un ciel criblé d’étoiles j’ai vu cette bagnole marrante secouée de tutut de pouêt-pouêt et du fou-rire de deux gosses heureux là à Chadjaiya dans une ruelle épargnée de notre belle Palestine assassinée ! Alors je ne sais pas pourquoi qu’est-ce qui m’a pris quel khamsin d’ironie m’a emporté m’a dévasté et aussitôt réconforté quand à mon tour je me suis marré de joie ou de nervosité marré marré marré à en crever et j’ai hurlé en admirant nos chères ruines de Gaza torse bombé plomb durci et montrant le poing à leurs chars soudain je dégoupille mon cri :

"Allah Akbar !"

''Écrit à l’aube du dimanche 19/07/15, après avoir visionné la veille le remarquable reportage d’Agnès Merlet sur ARTE « Nous, réfugiés palestiniens… » Poème dédié au jeune Maher Younès, qui survit avec vaillance et humour dans le camp de réfugiés palestiniens de Burj El Barajneh, dit « La tombe des vivants », au Liban''

Pour une lecture plus aérée, c’est ICI : https://www.youscribe.com/catalogue/documents/actualite-et-debat-de-societe/debats-et-polemiques/complainte-de-gaza-2598198

Ce poème est extrait du recueil poétique CE QUE ME CONFIE LA NUIT, Éditions du Net, 2023..