J’en suis aux dernières pages du roman d’Henri-Pierre Roché. Le livre commençait dans la légèreté et un joyeux amoralisme. J’en fus tout émoustillé et heureux ! Il se termine dans la mélancolie et le désenchantement. Mon cœur devient un étau et les pages ont un avant-goût de cendre… Un peu comme pour Belle du seigneur, en plus aérien ici et dans un style plus épuré. Peut-être Truffaut – qui fit la gloire du livre de Roché – avait-il raison lorsqu’il disait un an avant le tournage : « Jules et Jim est un hymne à la vie et à la mort, une démonstration par la joie et la tristesse de l'impossibilité de toute combinaison amoureuse en dehors du couple. » J’aurais tellement souhaité le contraire en commençant la lecture de cet étrange roman d’inspiration autobiographique !

Moi qui ne crayonne jamais les livres, qui ne lis pratiquement plus d’opus papier, je n’ai pas pu m’empêcher de relever ces quelques citations, tant mon cœur se serre, tant une malédiction semble peser sur l’Amour fou et les quelques amours plurielles censées le cerner par utopie et l’accomplir par approximatif puzzle. Que tous les amoureux ou amants, amantes ou amoureuses, que chacun de mes deux indispensables médite ces quelques phrases et choisisse d’adopter la sagesse de Jules, l’excentricité de Kathe ou la résignation de Jim… Sauf que nul ne peut choisir, aucun choix n’est possible ni sans doute souhaitable. Seule la vie qui va de l’avant, sans cesse, irrésistiblement, de fusion en confusion, d’embrassement en éloignement, de néant à néant…

« Aucune illusoire maîtrise ne peut détourner le cours de l’insouciant ruisseau qui va en nous et ne sait où il va, accédant à des instincts en friche, bouleversant des terres sans âge, dont le soulèvement se confond alors avec la douleur qui nous en vient, insupportable, radieuse. »

(Christian Bobin, Le 8ème jour).


Jules_et_jim_FILM.jpg

Henri Serre, Jeanne Moreau, Oskar Werner dans Jules et Jim de François Truffaut


Extraits de Jules et Jim :

- « Certes il faut des pionniers qui essaient des voies nouvelles. Mais ils doivent être humbles et sans égoïsme. » (Page 224, collection Folio).

- « Dans un couple, il faut que l’un au moins soit fidèle : l’autre. » (Page 208)

- « Si l’on aime quelqu’un, on l’aime tel quel. On ne veut pas l’influencer car, si on réussissait, il ne serait plus lui. Il vaut mieux renoncer à l’être que l’on aime que le modifier, en l’apitoyant, ou en le dominant. » (idem)

- « Le temps passait… Le bonheur se raconte mal. Il s’use aussi, sans qu’on perçoive l’usure. » (Page 206).

- « Jim et Jules, pendant 20 ans, n’avaient pas eu un heurt. Ils constataient leurs divergences avec tendresse. Cela arrive-t-il en amour ? Jules chercha un couple qui s’acceptât comme Jim et lui. » (Page 242)

- « Kathe et Jim étaient dans le linceul de l’eau, non enlacés par extraordinaire, et ils étaient morts parce qu’ils s’étaient désenlacés. » (Page 240)

- « C’est beau de n’avoir ni contrats, ni promesses, et de ne s’appuyer au jour le jour que sur son bel amour. Mais si le doute souffle, on tombe dans le vide. » (Page 223)


Ophelie_de_Millais.png

Sir John Everett Millais, Ophelia, Huile sur toile (détail) 76,2 x 111,8 cm, 1851 (Tate Britain, Londres)


Et c’est ainsi que, sous les yeux de Jules, le petit cabriolet plongea dans la Seine en y entraînant Kathe et Jim… et que la douce Ophélie, au fil de l’eau, se laissa emporter par son incurable folie.