Quatre extraits de "Belle du Seigneur" de Cohen, LE roman du XXème siècle. Aux antipodes, l'amour-passion et l'amour-mariage. Le mâle séducteur et la midinette enamourée. De trop courts passages... Et enflammé par ce livre-phare, au milieu des pages et en pleine nuit, Bellinus qui panique et exulte... entre passion et autodérision !


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« Solennels parmi les couples sans amour, ils dansaient, d'eux seuls préoccupés, goûtaient l'un à l'autre, soigneux, profonds, perdus. Béate d'être tenue et guidée, elle ignorait le monde, écoutait le bonheur dans ses veines, parfois s'admirant dans les hautes glaces des murs, élégante, émouvante, exceptionnelle, femme aimée, parfois reculant la tête pour mieux le voir qui lui murmurait des merveilles point toujours comprises, car elle le regardait trop, mais toujours de toute son âme approuvées, qui lui murmurait qu'ils étaient amoureux, et elle avait alors un impalpable rire tremblé, voilà, oui, c'était cela, amoureux, et il lui murmurait qu'il se mourait de baiser et bénir les longs cils recourbés, mais non pas ici, plus tard, lorsqu'ils seraient seuls, et alors elle murmurait qu'ils avaient toute la vie, et soudain elle avait peur de lui avoir déplu, trop sûre d'elle, mais non, ô bonheur, il lui souriait et contre lui la gardait et murmurait que tous les soirs, oui, tous les soirs ils se verraient. »


« Les autres mettent des semaines et des mois pour arriver à aimer, et à aimer peu, et il leur faut des entretiens et des goûts communs et des cristallisations. Moi, ce fut le temps d’un battement de paupières. Dites moi fou, mais croyez-moi. Un battement de ses paupières, et elle me regarda sans me voir, et ce fut la gloire et le printemps et le soleil et la mer tiède et sa transparence près du rivage et ma jeunesse revenue, et le monde était né. »


« Attentes, ô délices. Après le bain et le petit déjeuner, merveille de rêvasser à lui, étendue sur le gazon et roulée dans des couvertures, ou à plat ventre, les joues dans l'herbe et le nez contre de la terre, merveille de se rappeler sa voix et ses yeux et ses dents, merveille de chantonner, les yeux arrondis, en exagérant l'idiotie pour mieux se sentir végéter dans l'odeur d'herbe, merveille de se raconter l'arrivée de l'aimé ce soir, de se la raconter comme une pièce de théâtre, de se raconter ce qu'il lui dirait, ce qu'elle lui dirait. En somme, se disait-elle, le plus exquis c'est quand il n'est pas là, c'est quand il va venir et que je l'attends, et aussi c'est quand il est parti

et que je me rappelle. Soudain, elle se levait, courait dans le jardin avec une terreur de joie, lançait un long cri de bonheur. Ou encore elle sautait par-dessus la haie de roses. Solal ! criait cette folle à chaque bond. Parfois, le matin, alors qu'elle était absorbée par quelque tâche solitaire, tout occupée à cueillir des champignons ou des framboises, ou à coudre, ou à lire un livre de philosophie qui l'ennuyait, mais il fallait se cultiver pour lui, ou à lire avec honte et intérêt le courrier du cœur ou l'horoscope d'un hebdomadaire féminin, elle s'entendait tout à coup murmurer tendrement deux mots, sans l'avoir voulu, sans avoir pensé à lui. »


« Et pourtant, il n’y a rien de plus grand que le saint mariage, alliance de deux humains unis non par la passion qui est rut et manège de bêtes et toujours éphémère, mais par la tendresse, reflet de Dieu. Oui, alliance de deux malheureux promis à la maladie et à la mort, qui veulent la douceur de vieillir ensemble et deviennent le seul parent l’un de l’autre. »

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