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Trois extraits significatifs… et troublants !

(...) Karl dévisageait à présent son hôte.

- Qu’as-tu à la lèvre ? On dirait une goutte de sang…

Alban se souvint de son effusion dans la roseraie et de la trace que la fleur avait dû imprimer sur sa bouche avide. Il rougit jusqu’au bout des oreilles.

- Euh… rien… je sais pas… une simple écorchure…

Déjà Karl lui tendait sa pochette de soie.

- Tiens, essuie-toi.

Alban hésita un instant puis s’exécuta, honteux de tacher un si noble tissu qui était d’ailleurs marqué d’initiales brodées et entrelacées.

- Quel merveilleux stigmate ! Quel beau rouge purpurin ! Voici exactement la teinte que je cherche pour ma nouvelle variété de rose. En ton honneur, je l’appellerai "Albana Pulchrissima" !

« Merde, se dit Alban, il a deviné. »

Mais Karl n’y prit pas garde et replia soigneusement la pochette qu’il enfouit dans la poche de son pantalon.

- Permettez, Monseigneur, que je conserve à jamais cette touchante relique ?

Alban sourit nerveusement. Ça lui apprendra à faire le romantique dans une roseraie !


***

(...) Le promeneur avançait lentement dans l’allée, humant une fleur, scrutant une autre. Il flânait tout en fredonnant. Arrivé au bout de l’allée, dans un endroit qu’ombrageait un tilleul centenaire, l’élégant horticulteur fit une halte. Toujours armé de son sécateur, il fit mine de choisir une tige entre mille, l’observa, la respira, caressa ses lèvres de la corolle épanouie tout en fermant les yeux puis, soudain, comme émergeant d’un rêve, d’un geste nerveux et précis, l’homme sectionna la rose, ne gardant dans sa main droite qu’un fragment griffu. Il souleva alors son polo, caressa longuement son sein gauche ; il le massait et le pinçait alternativement – sa respiration devenait profonde et haletante – puis, ayant pressé de ses doigts effilés la brune aréole pour en faire durcir et allonger le téton, il approcha alors de sa chair dénudée un fragment d’épine : lentement, méthodiquement, voluptueusement, l’homme extasié lacérait le bourgeon vivace de son sein qui très vite s’empourpra…


***

Alban eut soudain frais ; il se leva alors et déambula vers la roseraie, suivi par Titus. C’était son parcours habituel. Il eut l’envie impérieuse de cueillir une rose. « La fleur emblématique de Karl » murmura-t-il. C’est du moins la pensée qui avait traversé son esprit. À vrai dire, pourquoi avait-il eu le désir impromptu de cueillir une fleur et d’y associer le maître de céans ? Cette double question lui parut aussi stupide que vaine et, comme d’habitude, il haussa les épaules. Fini le temps des questionnements ! Alban désirait rester le plus longtemps possible léger et insouciant, pratiquement en apesanteur, au contact de cette nature tant aimée qui, pas plus que Titus, ne lui était hostile. Bien au contraire, en elle il se ressourçait et s’apaisait.

Le promeneur chercha longtemps la fleur idéale, la dénicha enfin un peu à l’écart, dressée sur une tige plus haute que les autres, impériale mais non prétentieuse, à peine entrouverte, ourlée de lumière, encore alourdie par la pluie de la nuit. Elle le guettait, aurait-on dit, n’attendant plus que lui. Cette coïncidence fit sourire Alban qui huma longuement sa favorite en fermant les yeux. « Ma confidente, ma belle amie ! » susurra-t-il avec tendresse. Il allait machinalement briser la tige pour emporter avec lui cette magie quand il se ravisa. « Laisse-lui donc la vie sauve ! » chuchotait en lui une voix. Il caressa une dernière fois le velours des pétales, osa y déposer un baiser furtif et s’éloigna soulagé.


Extraits du MANOIR DE MERVAL, ebook & kindle, 2012


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