Je relis ce matin un article du psychanalyste Jean-Pierre Winter. Des mots qui sont pour moi d’une brûlante actualité :

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(…) Notre angoisse irréductible naît du fait que nous ne savons pas quel « objet » nous sommes pour l’autre, ce qu’il attend de nous, ce qu’il nous veut, dans la mesure où cet autre – celui de la rencontre – n’est qu’un tenant-lieu de l’Autre, dans la mesure où m’adressant à lui, je lui parle au-delà de lui comme s’il n’était là que pour incarner le lieu d’où toute parole advient.

Or cet Autre que Lacan désigne comme « trésor des signifiants », je ne sais pas s’il me souhaite pur regard, simple voix, déchet détaché du corps ou sein nourricier. Plus sûrement, et parce que l’Autre est d’abord l’Autre sexe (mais pas forcément ! ici, c’est Bellinus qui met son grain de sel), un homme ne peut que s’inquiéter de savoir si, pour cet Autre, il ne se réduit pas à son organe phallique. D’où sa crainte de n’être plus rien dès lors que son organe ne répond plus à sa fonction : l’érection. Angoisse d’autant plus intense qu’il n’a sur cet organe aucun pouvoir ! Déjà Léonard de Vinci dans ses Carnets notait dans un chapitre intitulé “La Verge” :

Celle-ci a des rapports avec l’intelligence humaine et parfois elle possède une intelligence en propre. En dépit de la volonté qui désire la stimuler, elle s’obstine et agit à sa guise, se mouvant parfois sans l’autorisation de l’homme, ou même à son insu, soit qu’il dorme, soit à l’état de veille, et elle ne suit que son impulsion. Souvent l’homme dort et elle veille, et il arrive que l’homme soit réveillé mais elle dort. Maintes fois l’homme veut se servir d’elle qui s’y refuse ; maintes fois elle le voudrait et l’homme le lui interdit. Il semble que cet être a souvent une vie et une intelligence distinctes de celle de l’homme et que ce dernier a tort d’avoir honte de lui donner un nom ou de l’exhiber en cherchant constamment à couvrir et à dissimuler ce qu’il devrait orner et exposer avec pompe comme un officiant.

Ce qu’avait déjà compris Vinci, c’est que pour être un homme il lui faut accepter que son désir, un hôte dans son corps et son esprit (hôte encombrant et tyrannique, dixit Bellinus) contrarie sa volonté. Ce rapport d’étrangeté à son propre sexe, souligné ici par Léonard de Vinci, voilà sans doute le trait spécifique à partir duquel, depuis toujours, un homme se construit dans le génie de son sexe. Étrangeté pour les hommes, énigme pour les femmes.


Jean-Pierre Winter, Qu’est-ce qu’un homme ? Études, juillet-août 2012.

Léonard de Vinci, Carnets, Gallimard, 1987, t. 1, page 128.