Le sexe et l'érotisme dans les monastères féminins (suite et fin)


Sainte Thérèse d'Avila est certainement l'une des plus représentatives nymphomanes qui remplissent le Paradis chrétien. (Sa petite sœur Thérèse de l'Enfant Jésus n'est pas mal non plus.) La grande Thérèse, comme on l'appelle parfois, représente un exemple classique pouvant être cité dans les livres de sexologie comme illustration et démonstration des dégâts extravagants que peut produire l'abstinence sexuelle. Dégâts cérébraux dus à la frustration sexuelle et délires collatéraux provoqués par sa sublimation effrénée.




La Transverbération de sainte Thérèse d'Avila, par le Bernin (détail)
(Chapelle Comaro, Santa Maria della Vittoria, Rome.)

Extrait de l'autobiographie de la Sainte espagnole :

" Mon mal était arrivé à un tel degré de gravité que j'étais toujours sur le point de m'évanouir. Je sentais un feu intérieur qui me brûlait … ma langue était réduite en lambeaux à force de la mordre. " Plus loin : " Alors que Christ me parlait, moi je restais à contempler la beauté extraordinaire de son humanité… J'éprouvais un plaisir si fort qu'il est impossible pouvoir d'en éprouver de semblables en d'autres moments de la vie… (…) Durant les extases, le corps perd tout mouvement, la respiration s'affaiblit, on émet seulement des soupirs et le plaisir arrive à intervalles… " (Parfaite description de l'orgasme !)

" Lors d'une extase m'apparut un ange tangible dans sa constitution charnelle et il était très beau; je voyais dans la main de cet ange un long dard ; il était d'or et portait à l'extrémité une pointe de feu. L'ange me pénétra avec le dard jusqu'aux entrailles et quand il le retira il me laissa toute brûlante d'amour pour Dieu … »




Idem (détail)
(Chapelle Comaro, Santa Maria della Vittoria, Rome.)


" La douleur de la blessure produite par le dard était tellement vive qu'elle m'arrachait de faibles soupirs, mais cet indicible martyr qui me faisait en même temps goûter les délices les plus suaves, n'était pas constitué par des souffrances corporelles même si le corps y participait de la manière la plus complète »

" J'étais en proie à une confusion intérieure qui me faisait vivre en une continuelle excitation que je n'osais interrompre en demandant de l'eau bénie afin de ne pas troubler les autres religieuses qui auraient pu en comprendre l'origine … (sens obvie de culpabilité).

" Notre Seigneur, mon époux, me procurait de tels excès de plaisir que je m'imposai de ne rien ajouter d'autre en plus que de dire que tous mes sens en étaient ravis … "(idem)

Une précision : La transverbération est un phénomène mystique rare relevant de la tradition catholique. Ce terme désigne le transpercement spirituel du cœur par un trait enflammé. (A l'origine éthymologique, le percement d'une outre !)Il s'agirait d'une blessure physique provoquée par une cause immatérielle. La personne qui en est l'objet (ou la victime consentante), voit un personnage (Jésus-Christ, l'Esprit Saint ou un archange) armé d'une lance flamboyante lui percer le flanc, comme le cœur de Jésus fut percé alors qu'il agonisait sur la croix. Le cœur est touché et saigne de manière ininterrompue, plus particulièrement à certaines dates, telle le vendredi saint. Il s'agit du prélude à l'union du "Verbe" et d'une âme, sous forme de noces spirituelles ou mariage mystique.

Les extraits précédents tirés de l'autobiographie d'une femme portée, comme ses consœurs, à la démence mystique par la répression sexuelle (et que l'Église a converties en exemples édifiants de renonciation à soi et d'amour christique), ne sont en réalité que la démonstration évidente de la fausseté de l'ascèse chrétienne et des aberrations baroques (Le Bernin et sa marmoréenne transverbération !) auxquelles elle peut conduire.

Car l'être humain a besoin de sexe autant qu'il a besoin de nourriture pour se nourrir ou d'air pour respirer, la sexualité n'étant évidemment pas réduite à la génitalité stricto sensu. Ceci dit, chassez le naturel, il revient au galop et qui veut faire l'ange fait la bête. A force de sublimer, combien de nonnes frustrées, hier et aujourd'hui, en arrivent tout bonnement à la masturbation et au coït simulé, le tout étant vertueusement maquillé en amour oblatif et en donc total consenti à l'éternel Fiancé. Mais, Dieu merci, il existe encore et toujours la sainte absolution car, derrière la grille laissant filtrer la Grâce sacramentelle, faute avouée est tout à fait pardonnée – et sans conséquence en cas de crime sexuel (viol ou pédophilie) puisque le secret de la confession demeure inviolable aux yeux du Droit canonique.

En tout cas, l'abstinence prolongée, comme la faim ou la soif, génère des troubles mentaux qui peuvent porter l'être humain, singulièrement la femme, vers des comportements souvent dangereux pour soi et pour les autres. Nombre de vices et de perversions qui se vérifient dans la société sont souvent déterminés par des tabous qui empêchent le normal déroulement des lois naturelles. La « Nature » (dont l'Eglise par ailleurs se fait la championne quand ça l'arrange, par exemple pour entraver la contraception ou interdire l'avortement), lorsqu'elle est trop violemment contrecarrée, tôt ou tard fait valoir ses droits et d'une façon d'autant plus violente que plus implacables ont été la répression dogmatique et la transgression intériorisée.

Dans une société moderne (occidentale) où le sexe est considéré ordinairement comme un besoin physiologique ou un divertissement joyeux (quelles que soient les dérives consuméristes ou les fuites en avant dans le tout virtuel), - en tout cas pas comme une source de vice et de « péché » -, toutes les pseudo perversions s'en trouvent réduites en fait à presque à rien, souvent surdéterminées par une haine tenace envers la femme archétypale (mère toxique ou femelle castratrice) vue par le petit mâle infantilisé comme responsable de son angoisse originelle et de son ressentiment impuissant. Merci Freud ! On le sait, le Viennois origine l'hystérie dans la lutte contre des angoisses d'origine sexuelle refoulées et leur réalisation partielle sous forme d'une conversion – au sens psychanalytique, mais l'autre sens convient aussi (n'est-ce pas, Monsieur Paul de Tarse !). En attendant, que de dégâts ! Le sexe, qui dans une société dépourvue de tabous pourrait être motif de détente et de concorde, devient ainsi, dans l'univers religieux basé sur la frustration et la diabolisation, motif de chantage, de haine et de rancune. Fini l'Eden, place aux prônes moralisateurs et aux fatwas meurtrières !Repoussons donc, plus que jamais en ces temps où le fondamentalisme redresse la tête, tous ceux qui nous empêchent de profiter (toujours en respectant la liberté des autres), des joies terrestres, sexe compris, de la manière la plus libre et plus complète qui soit. Comme disait Casanova : « Dépêchez-vous de succomber à la tentation avant qu'elle ne s'éloigne. » Moi, je dis : « … de peur qu'elle ne s'éloigne ! »

Le fait de croire que la renonciation aux plaisirs (entre autres du sexe) nous rendrait dignes de récompenses après la mort n'est qu'une des nombreuses absurdités soutenues par le christianisme pour imposer un impérialisme éthique biologique basé sur une morale manichéenne et une stricte soumission du corps à l'ordre naturel. N'y touchez pas, c'est Déesse Nature ! Oh ! bien sûr, cela ne sera jamais dit comme tel ! Avec tous les théologiens, Benedetto, fera des circonvolutions, des contorsions et autant de pieuses admonestations. Non, non, vous n'y pensez pas, l'Eglise estime la Femme et honore le Corps. Tu parles ! Au-delà des aggiornamenti de façade, le soubassement anthropologique reste le même : un pessimisme foncier. Finalement, ni plus ni moins que les autres religions mais d'une façon bien plus insidieuse, cette religion-là n'aime pas l'humanité sauvée par l'Agneau immolé car, selon elle, la vraie patrie du pécheur est au Ciel : la voie royale pour y parvenir est le chemin de la croix et la haine de soi. Quant à la femme, il vaut mieux qu'elle reste vierge et ne se marie pas, comme le recommandait St Paul.

Ainsi, de la Vierge-Mère jusqu'aux vaticinations pontificales en passant par le culte des Thérèse, Marguerite, Angèle et autres mères de l'Incarnation (désincarnée ?), telle est sous-jacente la morale répressive de toujours sur laquelle s'est construite l'Eglise pour imposer une imposture construite sur une extrapolation théologique et un non-dit misogyne (et homophobe) : un individu isolé, Jésus de Nazareth, célibataire consacré, né d'une Vierge conçue sans péché, divinisé après son supplice par ses disciples déçus puis instrumentalisé par une Institution avide de pouvoir temporel et spirituel (contrôle des âmes) et de messianisme moral – le pire qui soit. Car, même au XXIe siècle les choses n'ont pas beaucoup changé, ni dans le comportement immoral de maints clercs (pédophiles) ni dans les principes obscurantistes permettant par exemple d'anathématiser la recherche scientifique ou de contrecarrer la contraception. Certes, et c'est un minium, l'Inquisition n'existe plus, ni les croisades (quoique), ni les castrats pontificaux… mais les présupposés anthropologiques et dogmatiques demeurent et sont indispensables pour confesser urbi et orbi une prétendue hégémonie basée sur l'utopie d'un Dieu qui, pour exister, a besoin non seulement de s'incarner, de souffrir, de mourir (pour, le veinard, ressusciter à la fin du week-end !) mais a aussi besoin d'épouser l'humanité pécheresse pour la racheter par son sang, tous ces pauvres humains ravagés par la Faute originelle, menacés d'Enfer et de démons, d'exorcismes, de confession et d'absolution - pour tout dire d'ancestrale magie. « Dieu a besoin des hommes », c'était le titre d'un film surfait dans ma jeunesse. Mais l'homme, lui, n'a nul besoin de Dieu, merci !

C'est cela qui est le plus désarmant et souvent le plus désespérant pour un athée de bonne volonté : bien qu'elle veuille cacher sa vraie nature derrière des appels doucereux et opportunistes à la paix des peuples, l'Eglise en fait reste inchangée dans l'obscurantisme qui lui est congénital et dans son immoralité larvée quoique soigneusement camouflée comme au temps des Pharisiens. Si aujourd'hui, pour libérer les possédés par Satan, l'institution exsangue se limite à l'exorcisme diocésain - car on ne lui permet plus d'avoir recours comme jadis au feu des bûchers -, c'est à l'évolution sociale éclairée des Lumières qu'on le doit. Comme quoi, il existe quelque part un Progrès historique ! Mais ce feu, contrairement à ce que l'on croit, ne s'est pas tout à fait éteint : il brûle encore sous les cendres d'une apparente résignation, caché par de théâtrales exhortations à la paix mondiale et à l'universelle charité. Bien plus hypocrites et inopérantes, les récentes et très médiatiques demandes de pardon face aux ravages de la pédophilie ecclésiastique. Il est si facile de battre sa coulpe plutôt que de réformer l'Eglise en profondeur ! Par essence, le christianisme institutionnel (pas l'Evangile mais le destin de Jésus revu et corrigé, donc « christifié ») est névrogène, sexiste et impérialiste. Sous les ors du Vatican, encore beaucoup de sperme, de sang et de larmes…

… et pendant longtemps encore, au fond des couvents silencieux, dans les cellules froides et austères, sous la bure rêche cachant de sensuelles rondeurs, certaines femmes en pleurs, mystiques et extatiques, pour exister et jouir dans leur corps confisqué, pecca fortiter, oui, de pauvres âmes, avec ferveur et en toute bonne foi, se donneront encore longtemps à leur divin Fiancé !





L'actrice Rossy de Palma
photographiée par Bruce LaBruce
(exposition madrilène intitulée « Obscenity », février-mars 2012)



Rappel : à partir du 10 janvier 2012, tous les mardis un nouvel épisode du roman-feuilleton LE MANOIR DE MERVAL s'écrit sur la plateforme littéraire YouScribe. « Un récit (gay ?) à la fois contemporain et un brin désuet, donc démodé, qui n'a comme finalité que de booster l'écrivain paresseux et de distraire l'internaute par temps de crise, pardon, de Crise majuscule (consultation et téléchargement du manuscrit évidemment gratuits) ». Dixit l'auteur.
Et il y est aussi question de sadomasochisme, en toute ingénuité et sans nulle référence à une quelconque religion !