Et pourtant, hier après-midi, j'avais fort envie de me divertir, d'autant plus que la place m'avait été offerte. Pour faire monter le plaisir, j'avais même poussé le raffinement jusqu'à ne rien connaître du titre, du sujet, et même du lieu de la représentation. Suspense ! Je ne me fiais qu'à l'invitation de l'ami (comédien) et au prétexte, disait-il, de se faire sa propre idée pour pouvoir voter lors de la soporifique soirée des Molière.

Ce n'est qu'en sortant de la salle que j'ai lu les critiques dithyrambiques. Bien m'en a pris, si je les avais lues avant la représentation, ma déception en aurait été décuplée. « Un ouragan de rire.» (Le Figaro) ; « La comédie la plus drôle depuis belle lurette » (JDD) ; « Un grand fou rire pour l'un des meilleurs spectacles de la rentrée » (ELLE). Eh bien moi, désolé, je n'ai ri que deux fois pendant près de deux heures. Plus précisément deux demi-sourires. Et tandis que la pièce avançait, j'avais beau essayer de me tordre, du moins de me tancer intérieurement, mes injonctions paradoxales ne fonctionnaient pas, pas un seul instant. Effaré autant que consterné, je me disais : c'est laborieux et convenu, le texte fort mal écrit ou mal traduit, l'argument original au départ mais d'emblée gâché par les pitreries, les gags qui se répètent au cas où l'on n'aurait pas compris (claques en rafales pendant dix minutes et monocure de bananes et de cacahuètes !) et ce trio qui, certes, ne s'économise pas mais en fait des tonnes, gesticule, grimace, se contorsionne en confondant interprétation et clownerie (avec un peu de scatologie, faut pas pousser !). Tiens, à propos de « pousser », ce gag irrésistible : à droite, un grand gaillard (Samuel le Bihan) se tordant sur un divan en faisant mine de pousser pour… accoucher ; à gauche, son comparse idem, courbé en deux, car il est constipé depuis quatre jours. Irrésistible, non ?




Le final eût pu être un brin poétique sinon comique dans l'évocation d'« Autant en emporte le vent ». Mais non ! C'était une fausse fin et on est reparti pour un tour, on a eu droit aux mêmes vannes lourdingues, aux mêmes dialogues téléphonés, aux mêmes grimaces appuyées avec en prime le pétage de plomb de la secrétaire – le genre de bécasse hystérique qu'on a envie de gifler dès qu'elle ouvre la bouche. Pauvre comédienne (Françoise Pinkwasser), autrement convaincante dans Ionesco (à La Huchette) et qui, ici, est condamnée à surjouer les inutilités.

J'écris tout cela calmement, sans dépit, en me disant : mon pauvre Bellinus, décidément, tu n'es pas comme tout le monde, tu ne te divertis pas des farces à la mode, tu subodores et tu désamorces à l'avance tous les trucs et les ficelles, pardon, les câbles. Serais-tu, non seulement anormal, mais malade ! Dernier détail (qui aurait pu être un gag supplémentaire) et que je n'invente pas : perdu dans mes pensées acides, au sommet de l'escalier du métro Boulogne-Pont de St Cloud, sur la dernière marche, énorme et molle, d'un beau jaune attendrissant, une merde de clebs lâchement étalée sur l'espace public qui s'est incrustée profond dans les semelles en caoutchouc de mes nouvelles chaussures Méphisto – les plus moches au monde (dixit l'Ami) mais les plus agréables pour la marche grâce à leur coussin d'air. Au fait, s'il existait des coussins d'air à poser sur les sièges des salles de théâtre pour décoincer les spectateurs récalcitrants ? Dans mon enfance, je m'en souviens, je riais du coussin péteur que mon grand frère réservait à notre Tante Angèle ! Moi, je n'aurais jamais osé. Bien trop timide ! Je crois me souvenir que je riais… mais j'étais douloureusement gêné ensuite car mortifié pour cette belle femme si élégante. Bref, pour en revenir à mes pompes, aurais-je dû rire lorsque quelques instants plus tard je les ai patiemment décrottées sous le jet du robinet ? Non, non, décidément, je ne suis pas un comique, et même les vrais sujets de farce (Guéant le Gluant et Sarko l'Arsouille) ne me font pas rire, mais alors pas du tout.

Mais peut-être un(e) internaute, même un(e) seul(e) - comme dans la célèbre supplique d'Abraham ou de Moïse, je ne me souviens plus du héros cette fois, c'était pour sauver Sodome – bref, peut-être un unique internaute pourrait-il redresser la barre en assurant ici même, dans son commentaire enflammé, que lui, il s'est bidonné à se pisser parmi et qu'il en redemande ? Bis ! Bis ! Et qu'un Molière couronne bientôt l'impérissable chef-d'œuvre ! Bis ! Bis ! Pour celui-ci – pas le chef-d'œuvre, le spectateur-testeur - je consens pour finir à nommer la chose qui, après avoir enthousiasmé plus de 10 millions de spectateurs à travers le monde, a ravi déjà 70 000 parisiens au Théâtre Antoine, au point que le spectacle est désormais prolongé au Théâtre du Gymnase-Marie Bell. Il s'agit donc d'une comédie de l'américain Ron Hutchinson, dans une adaptation de Martine Dolléans et une mise en scène de Daniel Colas. Ça s'appelle « HOLLYWOOD ».

Mais de grâce, parole de grincheux, qu'on nous rende Molière, le vrai, et aussi un asphalte impec !