Pour déguster le 7ème Art (majuscule), à moi il faut l'antre obscure, le rituel, l'attente fébrile, la séance d'avant midi quand la salle est quasiment déserte (projection privée garantie) ; il me faut aussi être seul, sans avoir à faire ou à subir des commentaires à la sortie – le pire : « Bof, pas mal ! », de quoi doucher votre bonheur et rogner les ailes à votre enthousiasme cinéphilique.

Hier, toutes les conditions étaient réunies pour me permettre de déguster mon plaisir solitaire (l'un d'entre eux !) : au dehors, une météo exécrable : au-dedans, dans une belle salle du Quartier latin (ne ressemblant pas à un mouchoir de poche), juste une dizaine de spectateurs, de vrais cinéphiles, attentifs, silencieux ; venus comme moi célébrer le culte de la Lanterne Magique, sans pubs imbéciles avant le grand film, sans pop corn bruyants ni téléphones portables clignotant dans le noir. 3h 40 (220 minutes !) de pur bonheur non-stop, sans un instant d'ennui ou d'inattention, tous mes sens titillés et rassasiés (yeux, oreilles, cerveau, cœur… seules mes fesses, durant tant de temps, n'étaient pas à la fête !).

Ce qui est formidable à Paris (il faut bien quelques menus avantages à vivre dans cette mégapole), c'est qu'on peut voir les chefs-d'œuvre du siècle dernier, ceux qu'on a tellement aimés, ceux aussi qu'on a ratés pour une raison oubliée, toutes ces impérissables toiles, surtout lorsqu'elles sont restaurées – et toujours en V.O. cela va sans dire ! Ce fut le cas hier pour moi et j'avais le sentiment de remonter le temps, de revoir ma vie dans une version elle aussi colorée, restaurée. Flash back : ce 19 juillet 1983 qui n'a pas existé en fait, qui aurait dû si j'avais pu me rendre au cinéma Vox à Annecy, quai Eustache Chappuis (cette salle aujourd'hui n'existe plus), avec la petite ouvreuse brune et ses bonbons La pie qui chante ! J'avais 36 ans, cinéphile depuis plus de vingt ans, déjà enthousiasmé par l'acteur Robert de Niro (ah ! 1900 de Bertolucci !) et le musicien Ennio Morricone. Avec quelle impatience j'attendais la sortie en province du dernier volet de la trilogie de Sergio Leone, après Il était une fois dans l'Ouest et Il était une fois la Révolution… Mission accomplie et jouissance intacte : une fresque crépusculaire, testamentaire et parfaitement déconstruite quoique toujours intelligible (cet art des retours en arrière !), une somme cinématographique qui condense tout le savoir-faire du grand metteur en scène, ses thèmes et ses obsessions – mais également ses ambiguïtés et ses zones d'ombre. Comment n'être pas hypnotisé par l'écran et terrassé de bonheur ? Même si on ressort le regard voilé de mélancolie…

À présent, en guise d'apéritif estival (un critique talentueux n'a-t-il pas comparé ce film à « une madeleine gorgée d'opium » ?), 2 extraits en prime: une bande annonce et une déclaration d'amour joliment désespérée ! En souhaitant, ami(e), que tout se passe bien pour visionner ces vidéos sur ton écran (en mode « plein écran », c'est moins pire) – vidéos permises ici, c'est pour la bonne cause – sans oublier de fermer d'abord les pubs iconoclastes, comme on renvoie à l'office des hors d'œuvre pas frais. Bon appétit !

Et les DVD au salon, c'est fini, promis ?

D'abord, une bande annonce qui fait la part belle à la musique sublime de Morricone.