Je décide de l'appeler Salem. Salem mon Amour. Salem l'Inaccessible. Je profite de son somme pour le siroter des yeux. On jurerait un modèle du peintre Theotokopoulos dit Le Greco ! Visage émacié, peau mordorée, cils de faon ; ses paupières surtout m'attirent : voilant le globe au repos, elles enflent d'un bombé lisse et soyeux. Les joues rasées d'avant-hier sont assorties au jais des cheveux, coupés court, ébouriffés. Sur le front, au-dessus du sourcil droit, une cicatrice attendrissante. J'allais oublier les lèvres, minces, parfaitement dessinées, un double accent circonflexe où flotte un sourire las. C'est là que j'aimerais poser les miennes, en douceur, non, plutôt sur le dessus des paupières satinées, mystère fait chair, un seul baiser léger pour ne pas éveiller le voyageur, hommage du papillon au bourgeon de jasmin qu'il va butiner. Ne pas observer un jeune dormeur. Ce serait lui dérober ses rêves ! Par pudeur, j'ai négligé le jean plus bas : un bouton a été par inadvertance oublié, le renflement est prometteur. Honni soit qui mâle y pense. Sursum oculi ! Preste remontée vers le visage qui hypnotise à nouveau le mien. Quelle beauté stupéfiante ! Quel charme insensé ! Quel halo de tendresse ! Quel abandon voluptueux ! Mais mon train va arriver à sa destination ; derrière les vitres griffées au cutter l'Ile-de-France se fait plus nette ; encore quelques mètres, plus que quelques instants, le quai déjà… Je suis désespéré. Pourvu que l'éphèbe s'éveille, qu'il s'arrête à cette gare ! J'ai enfoui une carte de visite dans la poche de mon blouson, je la lui glisserai à la sortie, déjà un scénario fin prêt dans ma caboche qui s'affole… Excusez-moi… je vous ai observé à la dérobée… avez-vous Internet ?... votre portrait… demain… sur mon blog…sans faute, s'il te plaît ! Miracle ! Antinoüs de Kabylie descend comme moi à St Quentin. Charmant zombie, il a ramassé sa besace et me suit d'un pas languide. Dans la gare souterraine, il m'a même tenu le portillon. Galant ! Intrigué ? Indifférent : lorsque le jeunot se retourne, je vois un visage toujours assoupi, morne, soumis, nulle étincelle sous sa belle paupière : il n'a rien deviné ! Chacun va au boulot. Contact zéro. Forcément. Les ondes d'amour ne percent pas plus les paupières closes que les rais de soleil les stores abaissés. Obscurité totale. The end. « Noir !» comme on dit au théâtre quand le rideau s'abaisse. Je le laisse s'échapper… Soudain je me sens si con, si décati, si vieux, je ne me draguerais sûrement pas moi-même si je me rencontrais dans un train ! Adieu, ma beauté, bye bye mon Amour, merci, merci, merci, شكر SHOUKRAN ! À Dieu. Transfiguration. Sa face m'a irradié. Transfiguration puis frustration. Arrêt sur image. Panne sèche. Plus rien. Le néant. Nada. Ma timidité m'exaspère, mon âge me désespère, le tien aussi, Salem de mes rêves ! Ô môme, avoir ton âge, ta grâce. Ton innocence peut-être… J'en pleurerais. Ne me reste plus, une fois l'aveu transcrit, qu'à me caresser tristement… rêveusement… en fermant les yeux… ne songeant qu'à toi… en espérant que tu ouvres enfin les tiens… toi, ma fulgurante, ma brûlante, ma cuisante, ma défunte et inaccessible Beauté !





Trop Blanc, trop rose... mais les paupières suggèrent l'ineffable langueur !