« Violence de la vraie passion et désespoir de la possession impossible sur fond de sadisme chez l'Anglais Francis Bacon, un des plus grands peintres de la seconde moitié du XXe siècle. Homosexuel lui-même, et homosexuel tourmenté, il évoque souvent des couples d'hommes. Aucune tendresse dans ses tableaux, mais une intimité violente. Il peint le combat furieux de deux corps emmêlés, chacun luttant pour s'assurer la domination sexuelle sur l'autre. Ces toiles offrent un intérêt particulier car elles s'inscrivent dans une longue tradition iconographique associée à l'homosexualité.




Le corps à corps érotique de deux lutteurs est depuis la Renaissance un motif récurrent dans l'art. Francis Bacon qui connaissait sûrement les peintures et dessins de Pollaiolo, Signorelli ou Guido Reni, s'est inspiré plus directement d'un photographe anglais du XIXe siècle, Eadweard James Muybridge. Né en 1830, émigré aux Etats-Unis en 1852, celui-ci se livrait à des travaux scientifiques sur la locomotion humaine et mit au point une technique de séquences photographiques pour fixer l'image d'hommes nus en train de courir, de sauter, de lutter. Muybridge fut encouragé par le peintre Thomas Eakins, avec qui il collabora à l'université de Pennsylvanie et qui lui-même photographiait des coupes de lutteurs nus dont les corps enchevêtrés semblent absorbés par une autre activité que les arts martiaux. La filiation entre les lutteurs érotiques de Bacon, les planches anatomiques de Muybridge et les photographies d'Eakins est indiscutable.




Proche de Bacon, le peintre Lucian Freud, né à Berlin en 1922 et émigré en Angleterre dès 1939, n'est guère porté lui non plus à idéaliser l'homosexualité. Il cherche à choquer par des images crues et donne du rapport classique éraste/éromène une vision démythifiée, dépoétisée, aux antipodes du modèle grec. »

Op. cit. pages 309-310.