« À partir des années 1820 et jusqu'à la fin du XIXe siècle, le culte de l'argent, du rendement, de l'efficacité lié à l'essor de la bourgeoisie, impose une différenciation plus marquée entre les sexes. Aux hommes le travail, la tâche de fabriquer des produits, aux femmes le soin de fabriquer des enfants.

Produire et reproduire, ce nouvel évangile refoule la sexualité dans l'ordre unique de la monogamie. L'aimable tolérance du XVIIIe siècle, dont avait profité un Casanova, disparaît : poursuivre le fantasme de l'androgynie est désormais interdit. L'homosexualité rentre dans la clandestinité. La répression morale en France et dans les pays qui ont adopté le code Napoléon, légale dans le reste de l'Europe, va non seulement avoir des conséquences désastreuses pour les vies privées, mais apporter des changements importants dans la littérature et les arts. Dans le roman, plus aucune scène directe. En musique, disparition des castrats (Rossini fait chanter le dernier castrat en 1813).



(…) Dans les beaux-arts, disparition de l'androgyne. Le dernier, qui fait figure d'attardé, est le Jeune homme au bord de la mer d'Hippolyte Flandrin, réminiscence de l'éphèbe grec aux cheveux bouclés et au corps d'une perfection académique. Ramassé sur lui-même, le front entre les genoux, les yeux clos, rêve-t-il au monde perdu de l'éphébie heureuse ? Ce tableau accueilli en 1835 sans enthousiasme exagéré devait connaître, avec le développement de la photographie, un succès prodigieux au point de devenir une sorte d'icône pour les gays.

Plusieurs photographes homosexuels ont popularisé son image : en 1897 l'Américain Fred Holland Day [1] qui, par la statuette grecque qu'il loge sous les jambes du modèle, appuie l'allusion au monde antique. En 1912, l'Allemand Wilhelm van Gloeden [2] le reproduit presque à l'identique. En 1940, le Tchèque Karel Egermeie [3], en guise d'illustration pour Paysages des Olympiques de Montherlant, fournit la version boy scout du thème. En 1981, un autre Américain Robert Mapplethorpe [4] qui surprime tout décor, choisit par provocation un Africain comme prototype de la beauté masculine et met en évidence la vigueur de son membre viril, symbole de la libération sexuelle. »

Op. cit. Pages 214-218.