« Le moi n'est-il qu'une pensée, une résultante de la construction de la mémoire ? Oui si l'on parle du moi de la pensée qui s'approprie (sans cesse occupé à se défendre ou à attaquer). Non s'il s'agit de cela où s'origine le regard, les gestes, la voix qui tient au premier choc du monde sur l'enfant, à son rejeu unique.

Il n'y a connaissance que si l'on quitte la relation sujet-objet pour être un avec.

Pourquoi cette incessant agitation mentale ? À cause du vide et de l'angoisse qui nous arrachent à la plénitude des instants. Les idées-cadres en quantifiant et en délimitant sécurisent par le dehors en masquant provisoirement le trouble intérieur.

Qu'un moment de plénitude survienne, ne vous l'attribuez pas. Vous n'y êtes pour presque rien, malgré vos industries. Très tôt vous allez vous en apercevoir. Cela se passe dans l'impersonnel. Lâchez prise, absentez-vous : la joie est toujours là.Votre erreur est de trop chercher à comprendre. Peut-être saurez-vous qu'il n'y a pas à comprendre. Seule la mémoire du corps entier fait exister le passé dans l'instant, hors nostalgie. La mémoire mentale surdéveloppée sépare et frappe de nécrose toute sensation.

Le noyau de la personnalité n'est pas le moi construction de mémoire, mais dans la capacité d'accéder de façon unique à l'universel. »


Jean Sulivan, L'écart et l'alliance, p. 88-89, Gallimard.