Respirer.

Plus urgent de respirer que d'avoir des opinions. Inspirer et surtout expirer à fond, encore. Pas nécessaire de faire de l'hyper-ventilation, encore que l'expérience puisse révéler une nouvelle dimension de la vie intérieure. Inspirez, expirez, expérimentez le plaisir paisible des sensations fines, la présence à vous-même.

Que d'années pour savoir qu'il y a quelque chose de plus important que les réussites ou les échecs : ce sont les sensations fines, la participation à ce qui est à partir de rien, une aile qui passe, une roche moussue, un lichen sur un mur, un chaland sur le fleuve, les mille révélations que le choc du monte fait sur le corps qui allument une petite flamme intérieure quand on sait s'absenter de ce qui hurle, grince, blesse par trop. Et l'on ne peut même pas dire qu'on en jouait. C'est comme dans l'enfance, on ne le sait pas, l'enchantement traverse…

Une leçon du monde ni désespérée ni lyrique. Un consentement.

Quand cette sensualité diffuse non possessive n'existe pas, un homme est malheureux, qu'il le sache ou non.


Jean Sulivan, L'écart et l'alliance, p. 37-38, Gallimard.