« Que de temps il m'aura fallu pour apercevoir que j'avais vécu pour complaire aux miens, à l'Eglise officielle, avant de comprendre qu'il importait de défaire l'être de convention sincère, la doublure de soi et qu'on ne peut être fidèle à Dieu si on ne l'est à sa parole intérieure.

Renie-toi en oubliant que tu te renies. Appelle ce reniement « sacrifice de louange » et tu seras approuvé, béni ; voilà ce que nous disent les nôtres, par amour, dans leur désir de nous voir heureux de leur bonheur en ressemblant à l'image.

À l'inverse, pour complaire à d'autres il vous eût fallu aussi rejeter votre part catholique, entrer en quelque idéologie, éliminer votre naïveté en vous coupant de vos racines intérieures, afin d'être entendu des Nouveaux Maîtres et de leurs disciples pour qui toute foi ne saurait être qu'une métaphore.

Ou bien camper sur quelque Aventin avec un petit nombre d'amis qui savent marier l'Evangile et l'esthétisme, observant de loin avec le même mépris croyants traditionnels et athées dans leurs marécages.

Demeurer fidèle à ses origines hors folklore, à la foi catholique hors domination et régionalisme est d'une difficulté extrême et finalement robotisante.

Pour cela qu'il faut s'expatrier, consentir à l'exil intérieur, donc à la solitude.

L'écriture nous aura servi à cela : à pousser le cri primal (Janov) et à créer un modeste espace où respirer.

Scission en moi-même. Peut-être. Quoique je ne rêve jamais que de la réalité.

Scission religieuse ? Certainement.

Guérison. Mais je ne veux pas laisser les miens dans la maladrerie… c'est pourquoi je joue parmi eux la résurrection. »


Jean Sulivan, l'écart et l'alliance, p. 15-16, Gallimard.