« Vous serez d'une extrême prudence dans les manifestations de votre amour, afin de préserver la liberté. L'amour sans réserve ligote. Devenez capable d'absence et d'indifférence, et toujours là pour relever sans juger.

C'est votre amour de vous qui s'affaire. Écart et dureté feront plus que mille soins. Ne craignez pas de renvoyer à eux-mêmes ceux que vous aimez.

Sans amour de soi, il n'y a pas d'amour des autres. Qui est incapable de solitude et d'être bien avec soi se fuit en autrui. « L'amour qu'un homme se donne à lui-même est comme l'exemplaire de celui qu'il donne à autrui. Mais comme le modèle est plus que la copie, il est convenable que les hommes s'aiment eux-mêmes plus qu'ils n'aiment autrui. » Ainsi parle saint Thomas d'Aquin.

L'amour de l'humanité vous sera suspect. Les idéologues et les politiques n'aiment tant l'homme que pour ne plus voir les hommes concrets. Leur conviction abstraite et sentimentale grimace l'amour réel. Ils n'ont aucun mal à être suivis. Car les individus étrangers à leur nature spirituelle se laissent programmer avec bonheur. L'homme manipulé qui n'a plus de chez soi, croit vivre au rythme du monde. Celui par exemple qui se croit européen ou mondialiste, parce que, absent à lui-même, il s'est identifié aux idéologies généreuses ou dévorantes.

Je vous parle d'un rivage qui est aussi le vôtre. »


Jean Sulivan, L'exode, page 201-202, Desclée de Brouwer, 1980, réédition Cerf, 1988.