EXODE INTÉRIEUR (4 et fin)
Par Michel Bellin le jeudi 13 janvier 2011, 08:28 - Lien permanent
Quelques magnifiques lignes écrites par mon maître spirituel d'autrefois et de toujours Jean Sulivan (mort en 1980, à quelques centaines de mètres de mon domicile, je l'apprends seulement aujourd'hui !). Parfois difficile à comprendre quand on ne connaît pas à fond sa vie et son œuvre si intimement entremêlées. Moi, je le saisis à demi-mot, même dans le silence sous les mots. J'ai adopté à tout jamais, même si je n'y parviens guère, son intuition de l'instant-l'éternité : ce consentement à l'instant, à la beauté fugitive, à la sensation fine qui éblouit le regard et dilate le cœur. Plus qu'un Maître (dont il faut à tout prix se défaire), Sulivan est un compagnon, un ami, qui me séduit, m'interpelle, me dérange, me bouscule… depuis la découverte de ses éblouissantes Matinales (1976) jusqu'au recueil posthume de L'écart et l'alliance (1981).
« Vous serez d'une extrême prudence dans les manifestations de votre amour, afin de préserver la liberté. L'amour sans réserve ligote. Devenez capable d'absence et d'indifférence, et toujours là pour relever sans juger.
C'est votre amour de vous qui s'affaire. Écart et dureté feront plus que mille soins. Ne craignez pas de renvoyer à eux-mêmes ceux que vous aimez.
Sans amour de soi, il n'y a pas d'amour des autres. Qui est incapable de solitude et d'être bien avec soi se fuit en autrui. « L'amour qu'un homme se donne à lui-même est comme l'exemplaire de celui qu'il donne à autrui. Mais comme le modèle est plus que la copie, il est convenable que les hommes s'aiment eux-mêmes plus qu'ils n'aiment autrui. » Ainsi parle saint Thomas d'Aquin.
L'amour de l'humanité vous sera suspect. Les idéologues et les politiques n'aiment tant l'homme que pour ne plus voir les hommes concrets. Leur conviction abstraite et sentimentale grimace l'amour réel. Ils n'ont aucun mal à être suivis. Car les individus étrangers à leur nature spirituelle se laissent programmer avec bonheur. L'homme manipulé qui n'a plus de chez soi, croit vivre au rythme du monde. Celui par exemple qui se croit européen ou mondialiste, parce que, absent à lui-même, il s'est identifié aux idéologies généreuses ou dévorantes.
Je vous parle d'un rivage qui est aussi le vôtre. »
Jean Sulivan, L'exode, page 201-202, Desclée de Brouwer, 1980, réédition Cerf, 1988.