LA PRINCESSE DE MONTPENSIER
Par Michel Bellin le mercredi 29 décembre 2010, 11:39 - Lien permanent
L'après-midi de Noël, nous nous tenions serrés dans une salle comble de la rue St-André-des-Arts pour admirer la dernière œuvre de Bertrand Tavernier. Il était sensible, presque palpable, que tous ces gens venaient, non pas pour se distraire seulement ou tuer le temps – mais pour savourer la magie du cinéma, si bien nommé le 7ème Art. Moi, je fus comblé.
Mais d'abord cette remarque pour apaiser ma bile : je trouve inouï qu'un film de cette qualité, quelques semaines seulement après sa sortie, ne soit visible à Paris que dans 3 salles ! C'est une des plaies du cinéma français : son mode de distribution Kleenex. Passons. Donc, pour en revenir à cette adaptation à la fois somptueuse et subtile de la nouvelle de Madame de Lafayette (l'écrivaine que Sarko l'Inculte méprise tant !), tous les sens furent à la fête : les yeux d'abord, mais aussi l'ouïe (par la musique et l'élégance de la langue), l'intelligence et, bien sûr, le cœur. Car il s'agit d'une histoire d'amours contrariées sur fond d'intolérance et d'atroce guerre de religions (les combats filmés sont insoutenables). Et au milieu de cette fureur, il y a des scènes tout simplement sublimes, d'une beauté presque irréelle, où le temps semble comme suspendu, le tout étant filmé à la perfection et « aux petits oignons ».
Par exemple : la scène de la rivière. Sur la barque, la Princesse de Montpensier (lumineuse Mélanie Thierry !) et ses suivantes. Sur la berge, le Duc de Guise et le Duc d'Anjou, serrés dans leurs si seyants pourpoints, la dague au côté et la perle à l'oreille, abasourdis, éblouis par cette apparition céleste, et qui convoitent la Dame de loin, fort respectueusement, comme on savait le faire à cette époque à la fois galante et cruelle.
Ici un aveu : quand elle caracole en amazone, si belle, si noble, la Princesse de Montpensier est si irrésistiblement belle, gracieuse et élancée qu'elle parvient à me faire oublier pour quelques instants - c'est peu dire ! - le charme un rien canaille de Raphaël Personnaz !Du coup, j'ai eu envie de revenir à l'ouvrage que le scénario a su étoffer intelligemment et, grâce à Internet, j'ai pu découvrir en ligne et déguster d'une traite ce texte magnifique dans la langue précise et finement ciselée de Madame de Lafayette. Ci-après la scène de la rivière.
Mais d'abord cette remarque pour apaiser ma bile : je trouve inouï qu'un film de cette qualité, quelques semaines seulement après sa sortie, ne soit visible à Paris que dans 3 salles ! C'est une des plaies du cinéma français : son mode de distribution Kleenex. Passons. Donc, pour en revenir à cette adaptation à la fois somptueuse et subtile de la nouvelle de Madame de Lafayette (l'écrivaine que Sarko l'Inculte méprise tant !), tous les sens furent à la fête : les yeux d'abord, mais aussi l'ouïe (par la musique et l'élégance de la langue), l'intelligence et, bien sûr, le cœur. Car il s'agit d'une histoire d'amours contrariées sur fond d'intolérance et d'atroce guerre de religions (les combats filmés sont insoutenables). Et au milieu de cette fureur, il y a des scènes tout simplement sublimes, d'une beauté presque irréelle, où le temps semble comme suspendu, le tout étant filmé à la perfection et « aux petits oignons ».
Par exemple : la scène de la rivière. Sur la barque, la Princesse de Montpensier (lumineuse Mélanie Thierry !) et ses suivantes. Sur la berge, le Duc de Guise et le Duc d'Anjou, serrés dans leurs si seyants pourpoints, la dague au côté et la perle à l'oreille, abasourdis, éblouis par cette apparition céleste, et qui convoitent la Dame de loin, fort respectueusement, comme on savait le faire à cette époque à la fois galante et cruelle.
Ici un aveu : quand elle caracole en amazone, si belle, si noble, la Princesse de Montpensier est si irrésistiblement belle, gracieuse et élancée qu'elle parvient à me faire oublier pour quelques instants - c'est peu dire ! - le charme un rien canaille de Raphaël Personnaz !Du coup, j'ai eu envie de revenir à l'ouvrage que le scénario a su étoffer intelligemment et, grâce à Internet, j'ai pu découvrir en ligne et déguster d'une traite ce texte magnifique dans la langue précise et finement ciselée de Madame de Lafayette. Ci-après la scène de la rivière.
« Le duc d'Anjou allait souvent visiter les places qu'il faisait fortifier. Un jour qu'il revenait à Loches par un chemin peu connu de ceux de sa suite, le duc de Guise, qui se vantait de le savoir, se mit à la tête de la troupe pour servir de guide ; mais, après avoir marché quelque temps, il s'égara et se trouva sur le bord d'une petite rivière, qu'il ne reconnut pas lui-même. Le duc d'Anjou lui fit la guerre de les avoir si mal conduits ; et, étant arrêtés en ce lieu, aussi disposés à la joie qu'ont accoutumé de l'être de jeunes princes, ils aperçurent un petit bateau qui était arrêté au milieu de la rivière, et, comme elle n'était pas large, ils distinguèrent aisément dans ce bateau trois ou quatre femmes, et une entre autres qui leur sembla fort belle, qui était habillée magnifiquement, et qui regardait avec attention deux hommes qui pêchaient auprès d'elles. Cette aventure donna une nouvelle joie à ces jeunes princes et à tous ceux de leur suite. Elle leur parut une chose de roman.
Les uns disoient au duc de Guise, qu'il les avait égarés exprès pour leur faire voir cette belle personne, les autres, qu'il fallait, après ce qu'avait fait le hasard, qu'il en devînt amoureux ; et le duc d'Anjou soutenait que c'était lui qui devait être son amant. Enfin, voulant pousser l'aventure à bout, ils firent avancer dans la rivière de leurs gens à cheval, le plus avant qu'à se put, pour crier à cette dame que c'était monsieur d'Anjou qui eût bien voulu passer de l'autre côté de l'eau et qui priait qu'on le vînt prendre. Cette dame, qui était la princesse de Montpensier, entendant dire que le duc d'Anjou était là et ne doutant point, à la quantité des gens qu'elle voyait au bord de l'eau, que ce ne fût lui, fit avancer son bateau pour aller du côté où il était. Sa bonne mine le lui fit bientôt distinguer des autres ; mais elle distingua encore plutôt le duc de Guise : sa vue lui apporta un trouble qui la fit un peu rougir et qui la fit paraître aux yeux de ces princes dans une beauté qu'ils crurent surnaturelle. Le duc de Guise la reconnut d'abord, malgré le changement avantageux qui s'était fait en elle depuis les trois années qu'il ne l'avait vue. Il dit au duc d'Anjou qui elle était, qui fut honteux d'abord de la liberté qu'il avait prise ; mais, voyant madame de Montpensier si belle, et cette aventure lui plaisant si fort, il se résolut de l'achever ; et, après mille excuses et mille compliments, il inventa une affaire considérable, qu'il disait avoir au-delà de la rivière, et accepta l'offre qu'elle lui fit de le passer dans son bateau. Il y entra seul avec le duc de Guise, donnant ordre à tous ceux qui les suivaient d'aller passer la rivière à un autre endroit, et de les venir joindre à Champigni, que madame de Montpensier leur dit qui n'était qu'à deux lieues de là. Sitôt qu'ils furent dans le bateau, le duc d'Anjou lui demanda à quoi ils devaient une si agréable rencontre, et ce qu'elle faisait au milieu de la rivière. Elle lui répondit, qu'étant partie de Champigni avec le prince son mari, dans le dessein de le suivre à la chasse, s'étant trouvée trop lasse, elle était venue sur le bord de la rivière, où la curiosité de voir prendre un saumon qui avait donné dans un filet, l'avait fait entrer dans ce bateaux. M. de Guise ne se mêlait point dans la conversation ; mais, sentant réveiller vivement dans son cœur tout ce que cette princesse y avait autrefois fait naître, il pensait en lui-même qu'il sortirait difficilement de cette aventure, sans rentrer dans ses liens. Ils arrivèrent bientôt au bord, où ils trouvèrent les chevaux et les écuyers de madame de Montpensier, qui l'attendaient. Le duc d'Anjou et le duc de Guise lui aidèrent à monter à cheval, où elle se tenait avec une grâce admirable. Pendant tout le chemin, elle les entretint agréablement de diverses choses. Ils ne furent pas moins surpris des charmes de son esprit, qu'ils l'avaient été de sa beauté ; et ils ne purent s'empêcher de lui faire connaître qu'ils en étaient extraordinairement surpris. Elle répondit à leurs louanges avec toute la modestie imaginable ; mais un peu plus froidement à celles du duc de Guise, voulant garder une fierté qui l'empêchait de fonder aucune espérance sur l'inclination qu'elle avait eue pour lui. En arrivant dans la première cour de Champigni, ils trouvèrent le prince de Montpensier, qui ne faisait que de revenir de la chasse. Son étonnement fut grand de voir marcher deux hommes à côté de sa femme ; mais il fut extrême, quand, s'approchant de plus près, il reconnut que c'était le duc d'Anjou et le duc de Guise. La haine qu'il avait pour le dernier se joignant à sa jalousie naturelle lui fit trouver quelque chose de si désagréable à voir ces princes avec sa femme, sans savoir comment ils s'y étaient trouvés, ni ce qu'ils venaient faire en sa maison, qu'il ne put cacher le chagrin qu'il en avait. Il en rejeta adroitement la cause sur la crainte de ne pouvoir recevoir un si grand prince selon sa qualité, et comme il l'eût bien souhaité. Le comte de Chabanes avait encore plus de chagrin de voir M. de Guise auprès de madame de Montpensier, que M. de Montpensier n'en avait lui-même : ce que le hasard avait fait pour rassembler ces deux personnes lui semblait de si mauvais augure, qu'il pronostiquait aisément que ce commencement de roman ne serait pas sans suite. »
Les comédiens Raphaël Personnaz et Grégoire Leprince-Ringuet
Madame de La Fayette
(Paris, Lepetit, 1820)
La Princesse de Montpensier
1662
Sur le site : http://fr.wikisource.org/wiki/La_Princesse_de_Montpensier