DE L'ART (GAY), POURQUOI FAIRE ?
Par Michel Bellin le mardi 4 janvier 2011, 13:35 - Lien permanent
En ce début d'année, l'indignation est à l'ordre du jour, peut-être même un phénomène de mode. Pas sûr néanmoins qu'une fois passés les vœux (pieux) et les vibrantes indignations, cela change grand-chose à la dérive collective de notre société ni aux petites compromissions individuelles.
Pour 2011, suite à Dominique Fernandez, je souhaite m'en tenir à l'écart, à la non assimilation, hors communautarisme bêlant et consumériste ! Quant à l'inspiration littéraire, avec ou sans étiquette gay, je continue d'y croire mais sans en être obsédé. Un seul jour à la fois. Un seul livre…
Pour 2011, suite à Dominique Fernandez, je souhaite m'en tenir à l'écart, à la non assimilation, hors communautarisme bêlant et consumériste ! Quant à l'inspiration littéraire, avec ou sans étiquette gay, je continue d'y croire mais sans en être obsédé. Un seul jour à la fois. Un seul livre…
« Être homosexuel, ce n'est pas seulement préférer les personnes de son propre sexe : c'est (ce devrait continuer à être) se tenir en marge de la masse de ses semblables, penser et agir différemment, apporter dans le consensus social un ferment de critique et de discorde.
Mais si la société absorbe toutes les marges, si les différences se dissipent, si les hors-la-loi entrent dans le cadre de la loi et profitent des avantages de la loi, si la critique et la discorde n'ont plus de raison d'être, alors ce qui était jusqu'à présent un puissant stimulant pour la création artistique et pour la culture en général risque de disparaître aussi, n'étant plus parmi les milliers d'autres articles proposés sur le marché, qu'un simple produit de consommation.
Toute avancée sociale, toute conquête dans le domaine civique entraîne une déperdition culturelle, c'est un constat qui laisse le cœur partagé. Don Juan n'a plus rien à faire, il est trop dans une société qui non seulement lui pardonne ses écarts, mais l'encourage à se disperser. Tristan et Yseut, la princesse de Clèves, Roméo et Juliette, que de héros devenus soudain obsolètes, que de mythes révolus !
Ecrire aujourd'hui Madame Bovary serait impossible. La conception du mariage s'est à ce point assouplie que le mot même d'adultère est tombé en désuétude. Des libertés que s'octroie son conjoint, pourquoi continuer à en faire une tragédie ? Pareillement, il n'y a plus à craindre, à souffrir ou à se maudire d'être un « différent », un hérétique du sexe. Mourir du choléra parce que celui qu'on désire habite une planète hors de portée relève d'une mythologie périmée. Pis encore : n'avoir comme trait distinctif que de coucher avec des garçons n'est plus un certificat d'originalité. La banalisation de l'homosexuel retire à celui-ci une grande partie de ce qui en faisait un personnage intéressant. Peut-être même condamne-t-elle l'art homosexuel à ne survivre que de nostalgies et de pastiches, si ce n'est d'exhibitions publicitaires et de scandales mercantiles. Le progrès des mœurs, le changement de statut pour celui qu'on flétrissait auparavant sous des termes dépréciatifs, le passage de l'infâme à l'homosexuel, puis de l'homosexuel au gay, a enlevé peu à peu aux artistes comme aux écrivains concernés leurs sujets, leurs thèmes, leur raison d'être. En réclamant et en obtenant les pleins pouvoirs et l'absolue liberté, n'ont-ils pas fait un marché de dupes ?
Entendons-nous bien : il n'est pas question de regretter l'époque du secret et des tabous. Je note seulement que le secret et les tabous étaient plus favorables à la création que les facilités du laxisme. Tant mieux pour les mœurs, tant pis pour la littérature et les arts.
D. Fernandez, L'AMOUR QUI OSE DIRE SON NOM, 320 pages, Stock, 2001.