Nulle page philosophique, aussi belle soit-elle, ne peut apaiser à elle seule le désarroi intérieur (autant lire et relire l'ordonnance du médecin pour s'imaginer aller mieux !). Mais l'ordonnance du Sage peut inviter à entrer en soi pour y redécouvrir, y réveiller des trésors de vitalité et de bonté. C'est ce qui m'arrive en ces jours gris avec la lecture du cher Alain que j'avais trop longtemps négligé. Quel que soit son âge, ne pas tourner en rond comme un vieux lion ou une vieille lionne solitaires, mais bondir encore en avant, en battant(e) juvénile, faisant ses griffes sur soi-même pour acquérir noblesse et royauté…

Et tu seras un Homme, mon fils !


« Je juge médiocres, pour ne pas dire plus, ces leçons de morale fondées sur le calcul et la prudence. Sois charitable, si tu veux être aimé. Aime tes semblables afin qu'ils te le rendent. Respecte tes parents si tu veux que tes enfants te respectent. Ce n'est là que police des rues. Chacun attend toujours la bonne occasion, l'occasion d'être injuste impunément.

Je parlerais tout à fait autrement aux jeunes lionceaux, dès qu'ils commencent à aiguiser leurs griffes sur les manuels de morale, sur les catéchismes, sur toutes coutumes, sur tous barreaux : je leur dirais : n'ayez peur de rien, faites ce que vous voulez. N'acceptez aucun esclavage, ni chaîne dorée, ni chaîne fleurie. Seulement, mes amis, soyez rois en vous-mêmes. N'abdiquez pas. Soyez maîtres des désirs et de la colère aussi bien que de la peur. Exercez-vous à rappeler la colère, comme un berger rappelle son chien. Soyez rois sur vos désirs. Si vous avez peur, marchez tranquillement à ce qui vous fait peur. Si vous êtes paresseux, donnez-vous une tâche. Si vous êtes indolents, pliez-vous aux jeux athlétiques. Si vous êtes impatiens, donnez-vous des pelotons de ficelle à démêler. Si le ragoût est brûlé, donnez-vous le luxe royal de manger de bon appétit. Si la tristesse vous prend, décrétez la joie en vous-mêmes. Si l'insomnie vous retourne comme une carpe sur l'herbe, exercez-vous à restez immobiles, et à dormir au commandement.

Après cela, mes bons amis, puisque vous serez rois en vous-mêmes, agissez royalement, et faites ce qui vous semblera bon.


Propos d'un Normand, 4 avril 1910.
Boulogne-Billancourt, 7 octobre 2010.