La Toile, ce rose paradis des amours pornophiles (3)


À propos de sexe sur le Net, j'ai évoqué l'approche d'une cybersexualité tactile rendant obsolètes nos traditionnels supports médias exclusivement visuels. Volte-face littéraire et contre-attaque écolo : je prétends aujourd'hui qu'il est possible d'anticiper, non par une débauche technologique sexuelle, mais par une surenchère textuelle. Puis-je en faire la démonstration ? Sans être taxé de crade pornophage ? Sans risquer de polluer ces augustes pages ? Une fois encore, je parie sur l'humour et la tolérance des lecteurs de ce blog, étant entendu que pour les plus jeunes d'entre eux un accord parental est souhaitable avant d'aborder ce texte que je dédie à la Belle Province, non seulement en raison des liens amicaux entre nos deux pays et de je ne sais quelle nostalgie gaulliste, mais surtout pour impacter ma thèse concernant l'interactivité : alors qu'un vaste océan nous sépare, quelques clics vont suffire à nous unir.

En matière de démonstration scientifique, il faut s'en tenir aux faits, une fois posées les limites de l'expérience (ici son caractère exclusivement homo) – ce qui ne devrait pas invalider la conclusion. Donc retour aux circonstances et au cadre : Paris, juillet 2010. Esseulé dans ma chambrette, j'allume machinalement l'ordi pour consulter mes courriels. Stupeur ! Un message m'attend, intitulé, je t'offre, mon sexe. Bigre ! Ce n'est pas rien. D'habitude on me propose le dernier produit de Norton Antibitus ou les soldes de Priceminister. Je vérifie le nom de l'expéditeur. Nouvelle stupeur. Ce ne peut être lui, si réservé d'habitude, si retenu, mon cher Swann qui habite le Québec profond. Aurait-il bu trop de sirop d'érable ? Nous correspondons sagement sur MSN Messenger depuis plus d'un an, avec parcimonie. Il est jardinier, la quarantaine proprette, très mangeux de balustre, ne manquant jamais la messe du dimanche, car il chante dans la chorale, beau brun calme et posé. Je suis très attaché à lui, mais ce qui est sûr : nous n'abordons guère le territoire miné de la sexualité. Nous parlons plutôt littérature, horticulture, musique et confitures.

Donc le même Swann m'envoie un poème de son cru intitulé : je t'offre, mon sexe. C'est bougrement explicite, non ? Moi qui le croyais amateur d'évanescences impressionnistes ou de fragiles orchidées, eh bien non, Swan me l'empoigne gaillardement ! Du moins, il le promet, ses vers l'attestent. Je dois tout de même en être sûr : s'agit-il de métaphore ou d'invite de sa part ? Il me faut en avoir le cœur net, et quand je dis le cœur… Illico, sans trop y croire (maudit décalage horaire !) je lui envoie un message de congratulations en troussant à mon tour quelques rimes coquines.

Aussitôt – décidément, je vais de surprise en surprise – MSN fait entendre son joyeux signal. Bonjour ! Swann est en ligne. Déjà ? Si vite ! Le dialogue s'instaure et d'emblée je ressens son impatience, son audace inédite. Moi-même, face à mon clavier, me voilà submergé par le désir tandis que mes doigts sur le mulot sculptent un élan plus phallique que poétique. Voilà… j'aimerais… avec toi, ici, maintenant, sans te voir… – Oui. (Swann est toujours laconique.) – Juste en t'imaginant, en te caressant l'interface… bref, juste en t'écrivant… Long silence qui me fait redouter le pire.

L'écran crépite enfin. Tu veux qu'on se crosse à distance ? Par écrit ? Je réponds par l'affirmative. Nouvelle attente. Suspense torride. Ça s'peut-il ? J'insiste. Ça n'a pas de bon sens ! Je le rassure : tout arrive à celui qui croit. Oui. J'entre un peu plus dans les détails, comme un maître queux fait miroiter sa carte gastronomique. Derechef, il répond OUI. Puis une nouvelle fois OUI. Je dois être plus explicite – quitte à perdre définitivement la face au cas où il y aurait quiproquo ou effroi ou remords judéo-chrétien : nous ne sommes tout de même pas embarqués pour le Duo de Pergolèse ou une simple explication de texte, n'est-ce pas ?

Je précise à Swann mon discours sur la méthode, notre exclusif duo-duel oratoire et masturbatoire, nos impros s'entragaçant tandis que nos mots fiévreux enjamberont l'Atlantique pour se palucher l'imaginaire. Oh oui ! Plutôt que le fer, dégainons nos phonèmes, érigeons notre prose, que gerbe l'inspiration ! Que le Verbe enfin se fasse chair. Chiche ? Mon caribou de conclure doctement : Michel, je serai ton élève docile. Quel aveu ! Quelle humilité de sa part ! Quelle confiance absolue ! Du coup, mon cœur bat la chamade, ma gorge est siccité et mon envie moiteur quand s'affole et flageole mon preste navigateur. Je me calme et lui explique posément la consigne à suivre : Entendu, Swann. Mais c'est moi qui piloterai… sans hâte…toi, tu fais le même geste après moi et chaque fois que tu es prêt, tu m'envoies simplement OK, juste ce bref message. Swann me répond : « C'est correct. »

L'explication de sexe peut commencer.

(À SUIVRE)

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- Allons plutôt dans le sous-bois, nous serons plus tranquilles...


(Séquence suivante demain)