La Toile, ce rose paradis des amours pornophiles (2)

Revenons à présent à la source. Il la faut pure et biodégradable. Sur Internet une sélection s'impose : pour une majorité de sites vulgaires et commerciaux, quand ils ne sont pas dangereux par leurs potentiels virus, combien d'oasis enchantées ! Rares et précieuses. Je confesse ici que j'ai déniché la mienne – cette niche subliminale qu'il n'est pas question de raboter ! – cette enclave secrète qui correspond à l'image d'un érotisme heureux tel que je le conçois : varié, ludique, esthétique et décomplexé.

Car, comme en politique, rien ne vaut l'alternance : tantôt l'étreinte en live, au cœur à corps, avec l'Autre élu (accessoirement d'autres) quand mon désir n'est pas seulement le désir du corps de l'autre, mais aussi le désir de son désir ; tantôt une jouissance à la fois solipsiste et planétaire, via la lucarne magique et le preste mulot. Chaque séance vespérale est ainsi devenue un cérémonial de choix, ma lectio divina de haut vol où tout est offert, (con)célébré, transfiguré, tout est virilement possible et moralement permis. Et où tout se termine souvent par un éclat de rire tonitruant !

Pur infantilisme et virtualité vaine, persiffleront les censeurs. Ni plus ni moins que les réseaux sociaux, l'essentiel étant de revenir par alternance au réel et d'incarner sa propre sexualité hic et nunc, en chair et en os si je puis dire, et non plus dans des alcôves ou des lupanars de synthèse. Résumons : sensualité concrète contre sensualité virtuelle, c'est mieux ou moins bien ? Disons autrement. Plutôt l'une que l'autre ? Les deux, mon capitaine. Successivement et parfois simultanément. Mais est-ce moral ou pour finir très mal ? C'est et cela suffit.

En fait, le pornophile paisible ne se pose pas de questions (il jouit, cela suffit), il s'en tient au principe minimaliste de Chamfort : Jouis et fais jouir, sans faire de mal ni à toi ni à personne, voilà, je crois, toute la morale. (Maximes et Pensées, chap. V). Il ne dédaigne pourtant pas la réflexion et la sérénité de sa pratique ne l'empêche pas d'entendre des interrogations, pas forcément oiseuses, du genre : s'agit-il d'une invention moderne ? Est-ce une forme insidieuse de discrimination sexuelle ? La pornographie porte-t-elle atteinte à la dignité humaine ? Nuit-elle gravement à la jeunesse ? etc. In fine, faut-il oui ou non une Police des mœurs sur Internet et jusqu'où doit-elle sévir ?

Mais allons droit au but : qu'est-ce qui dérange tant dans la pornographie ? Telle est bien la question de fond, la ligne de démarcation entre deux camps : ceux (minoritaires ?) qui estiment que la sexualité avec pornographie, y compris dans ses fantasmes extrêmes, est une forme particulière, aussi respectable que d'autres ; et ceux (la majorité silencieuse et prétendument vertueuse ?) qui jugent cette déviance éminemment perverse. L'auteur de ces lignes appartient à l'évidence à la première école en soutenant mordicus que tout État démocratique moderne, donc laïc, inféodé à aucun livre révélé, imperméable à toute fatwa, doit s'en tenir au principe d'une « éthique minimale », ne serait-ce que pour sauvegarder au moins deux droits fondamentaux : le respect de la vie privée et la liberté d'expression.

Évidemment, en ce bas monde rien n'est parfait, le risque zéro n'existe pas, et il convient de s'en tenir sagement à la règle du moindre mal ou du moindre coût, quelles que soient les broutilles collatérales qui de toute façon ne tiennent pas face à la suprématie du Droit. Il ne viendrait par exemple à l'idée de personne de faire interdire la Bible ou le Coran sous prétexte qu'une poignée d'illuminés s'en réclament pour commettre d'éventuels forfaits (le massacre des mécréants) ! Ou encore de mettre à l'Index Crime et Châtiment pour épargner à la Société la menace de potentiels zigouilleurs de concierges ! De la même manière, à propos des supposés et délirants effets criminogènes de la pornographie (on connait le slogan rabâché : le porno est la théorie, le viol la pratique), ce n'est pas parce que quelques galopins acnéiques risquent un jour ou l'autre un malencontreux (?) zapping qu'il faut pour l'ensemble des internautes tarir la miraculeuse fontaine de jouvence.

Et puisque cette chronique à peine torride germa en son titre sous des fleurs baudelairiennes, terminons-la par un extrait infernal. Le Prince des Poètes, à défaut de vidéos, avait les mots pour le dire – ce qui constitue peut-être la quintessence d'une Érotique racée et réconciliera en tout cas pour finir homos et hétéros :


O souvenir d'enfance et le lait nourricier
Et ô l'adolescence et son essor princier !
Quand j'étais tout petit garçon, j'avais coutume
Pour évoquer la Femme et bercer l'amertume
De n'avoir qu'une queue imperceptible, bout
Dérisoire, prépuce immense sous quoi bout
Tout le sperme à venir, ô terreur sébacée !
De me branler avec cette bonne pensée
D'une bonne d'enfant à motte de velours.

Depuis je décalotte et me branle toujours !


(Verlaine, Dizain ingénu, Hombres)



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- Grouillons-nous, on va rater le début de la messe...

(Séquence suivante demain)