La Toile, ce rose paradis des amours pornophiles (1)



Que certains s'en émeuvent et le déplorent, qu'ils prétendent installer filtres ou baillons, la réalité est là : Internet est devenu le providentiel Éden des pornophiles paisibles. L'auteur de ces lignes s'honore d'en faire partie et entend en témoigner en toute ingénuité, n'en déplaise aux buveurs de tisane ou de fade moraline.

Précision : il ne s'agira évidemment pas de légitimer ici des exhibitions pédopornographiques (pouah ! j'ai passé l'âge de la blédine, même de la grenadine), mais bien de mises en scène entre adultes consentants à l'intention d'autres adultes majeurs et vaccinés, normalement constitués et gentiment pervers. Je dis bien pornographie et pas érotisme selon l'euphémisme des donneurs de leçons souvent hypocrites : leur bouche sinon leur sexe s'offusque souvent de vocables trop crus, en public seulement.


Autre précision : une pornographie exclusivement homosexuelle en ce qui me concerne, nul n'est parfait. Ce qui affaiblira sans doute le propos, mais ne menace en tout cas pas la sacrosainte, pompeuse et fallacieuse « dignité de la personne humaine » (la Femme s'entend) ; donc, tout va très bien Madame la Marquise, car nos jolis messieurs en cuir clouté n'ont pas dieu merci ce genre d'états d'âme ni l'ubris sexiste des farouches féministes.

Troisième précision enfin : il ne s'agit pas chez moi de gloutonnerie, encore moins d'addiction, mais d'une consommation modérée et choisie (comme pour le whisky, le café, le chocolat noir ou mes chers cigarillos) puisque le poison – si poison il y a – ne réside pas dans la chose, mais dans la dose. Donc avant tout un hédonisme de bon aloi et une candeur sans failles. Avec cet unique objectif : l'extase. Et un seul péril : l'épectase !

Car le bilan est aujourd'hui largement positif. Si la nostalgie n'est plus ce qu'elle était, en matière de pornographie il n'y a aucune raison d'être mélancolique, bien au contraire reconnaissant voire lyrique. Autrefois, horrible époque quasi moyenâgeuse, il fallait dévorer en secret quelques magazines pudibonds en noir et blanc puis en couleurs criardes pour s'enhardir ensuite, si possible dans la cité voisine, jusqu'au tréfonds de cinémas sordides et de sex-shops clandestins où, en matière d'incunables gay, le stock était plutôt chiche sur les rayons. Ensuite est venue une ère un peu plus civilisée où des vidéos davantage explicites (surtout californiennes : vive l'Amérique puritaine !) procuraient moult jouissances à nos pupilles dilatées, même si le coût en était – en reste encore – scandaleusement prohibitif en raison du taux de la TVA. Advint enfin le Minitel rose et ses premiers clics émancipateurs, à la fois désinhibiteurs et extraconjugaux, antichambre de la Terre promise se profilant à l'horizon du nouveau millénaire : Internet et son haut débit. Le ciel sur la terre, des créatures de rêve, des tiges à foison, à mater et à moissonner, en haute définition et sur écran large, sous tous les angles des webcams, sous toutes les latitudes de la planète, via des liturgies aussi astucieuses que gentiment aguicheuses. En attendant patiemment l'Avènement du Royaume des Sens où une cyber sexualité tactile et interactive rendra nos bons vieux pornos exclusivement visuels aussi obsolètes que le phénakistiscope à manivelle (1832) ! Mais faute de grive, ne boudons pas notre plaisir devant la caverne d'Ali Baba, une fois tapé le sésame du mot de passe.

C'est ainsi qu'aujourd'hui, en toute impunité et en toute liberté, je peux faire mon petit marché virtuel, un clic par-ci, un clic par-là, naviguant joyeusement des vidéos les plus récentes aux vidéos les mieux notées, conjuguant pour finir geyser et chimères via un menu de jour en jour plus alléchant et plus exotique : asiats, blacks, latinos, bogosses, fetish, fist, bear, trio, uro… j'en passe et des pires. Quelle sublime litanie ! Quelle étonnante biodiversité ! Quelle vitrine bigarrée d'une mondialisation enfin pacifique et harmonieuse ! Quelle surabondance béate après des années de disette et de manœuvres aussi obscures que honteuses au fin fond de la France profonde ! Et quelle formidable et jouissive leçon de travaux pratiques permettant d'illustrer et de vérifier le B.A BA de la morale solaire chère à Michel Onfray : « Désirer, c'est expérimenter le travail d'une énergie qui engorge et appelle expansion. »

Ici, une parenthèse à propos de philo et d'obsession textuelle : le pornophile paisible, c'est entendu, n'a pas besoin de vulgate, encore moins de textes sacrés pour fonder ou célébrer ses hauts faits. Il s'en tient au réel, au corps, à sa praxis innocente, même s'il ne dédaigne pas quelques textes contemporains qui, de Michel Foucault à Ruwen Ogien, depuis le diable de Chaminador jusqu'au sage d'Argentan, peuvent lui procurer dans l'intervalle de roboratives et salutaires méditations.

(À suivre)





- Swann, toujours cette maudite fermeture éclair !

(Séquence suivante demain)