La maison de mon hôte n'a rien d'un palais. C'est une « résidence d'été » pour riche Emirati qui la loue à l'entreprise française. Les finitions en sont approximatives, la clim poussive. Lors d'un de mes séjours, pour satisfaire l'Ami esthète, j'ai peint des raccords de faux marbre sur les carrelages vert et blanc. Mais, trêve de perfection, il y a 350 m2 à arpenter sur un seul niveau et moi qui vis habituellement dans 12, mon grand plaisir est de déambuler, nu et oisif, d'une chambre à une autre, d'une salle de bain rose à une autre émeraude, d'un large couloir à un hall démesuré. Quant à la cour, grâce à ses plantations et à ses arrosages réguliers, elle est devenue un Eden resplendissant de verdure et de fleurs exotiques que viennent butiner les prestes colibris.



Ce matin, vers 8 heures (il faisait déjà 38° et un taux d'humidité impressionnant), mon hôte est sorti arroser avant que je ne me lève. Je l'observais derrière le vitrage : tout à son affaire, patient, attentionné, comme s'il parlait à chaque plante, lui dispensant l'eau nécessaire (trop chaude !). Pour ne pas choquer ses voisins arabes (un jour, un gamin trop curieux grimpa sur le mur), lui qui aime déambuler dans la tenue d'Adam, il consent à présent à nouer autour de ses reins dorés un pagne symbolique. Le coton léger et presque translucide marie à mes yeux ravis décence et impudicité. Qui chantera la merveille du corps masculin ! J'ai oublié de noter que sur le pavage de la demeure, peut-être pour en masquer les imperfections et le kitsch typiquement oriental, çà et là, en tous sens, de magnifiques tapis chamarrés. C'est tellement pratique lorsque les corps, soudainement aimantés, s'étreignent furieusement ! L'ouragan du désir… indépassable jubilation physique et plaisante dévaluation de l'absurde Amour romantique ! Nos « babouineries » finissent d'ailleurs presque toujours par un éclat de rire tant la baise est une urgence sans raison, tant nos corps sont dissemblables et miraculeusement harmonisés depuis plus de dix ans de commerce assidu. Comme je dis, en observant nos épidermes contrastés, rien de plus savoureux au menu que l'alliance du pain d'épices et du fromage blanc !

Hier soir, sur la table, c'était avocat mûr à point, filet d'hamour, quelques nouilles au basilic (cueilli juste avant au pied du frangipanier), sorbet à la mangue, le tout arrosé d'un succulent vin de Provence acheté au Duty Free. Un menu presque ascétique mais somptueux. Et la conversation allait bon train. Le sujet du soir : « avoir de la classe, qu'est-à-dire ? » Nous ne sommes pas parvenus à trouver une définition satisfaisante : il a été question d'élégance physique et morale ; de naturel, de souplesse, d'adaptabilité à toute situation et à tout milieu social ; d'aisance et de fluidité. Bien peu d'exemples personnifiés dans notre entourage. J'en ai conclu qu'à ses yeux, il me manquait un je ne sais quoi pour avoir de la classe ! Mais je m'en fous, je consens à moi-même et à mes sublimes imperfections (amor fati dit Nietzsche) et cette infirmité de style ne me coupera pas l'appétit ni à table ni plus tard au lit ni nulle part ailleurs.



Nonobstant, la question reste posée et la voie tracée : même s'il n'y a qu'une unique et magnifique Liliane Bettencourt, conquérir pour soi-même, au bas de l'échelle sociale, disons au milieu, un surplus de classe et se sculpter sans cesse. C'est urgent tant s'amplifie en France le processus de décivilisation et me consterne la vulgarité ambiante. (« De là est venue, disait Péguy, cette immense prostitution du monde moderneElle vient de l'argent. »).

D'où la nécessité – et le privilège – de pouvoir m'enfuir et me ressourcer dans ce coin perdu de la péninsule arabique.