Deux de mes recueils poétiques préférés (Le sanglot de la terre et L'imitation de Notre-Dame la lune) sont dus à un poète mort à 27 ans : Jules Laforgue (1860-1887). Il y a chez cet auteur quelque chose de tout à fait contemporain, un mélange de tendresse et d'autodérision, un je ne sais quoi aussi de primesautier et de gamin. Et pourtant partout affleure sinon la philosophie, du moins une forme de questionnement profond, une inquiétude concernant le destin de la Terre et du pauvre homoncule qui la peuple, “ce pou rêveur d'un piètre mondicule ” (Cf. Complainte du temps et de sa commère l'espace).

Chaque léger coup de plume a le tranchant du scalpel. C'est drôle et poignant, on sourit pour ne pas pleurer et j'ai souvent l'impression, quand je le lis à mi-voix, que ce Pierrot railleur, est mon petit frère. Peut-être n'est-ce pas un hasard si mon (anti)héros fétiche, dans mes récits et mes pièces, s'appelle Julius et si moi-même, après mon coming-out tardif, je changeai et de nom et de prénom pour me faire appeler par mes meilleurs amis Michel-Julien ! Quant à mon récent recueil de textes (Emois, émois, émois) n'est-il pas sous-titré “ Chroniques hypertrophiques ” ! Bizarre, comme c'est bizarre.

Falot, falotte ! / Et c'est ma belle âme en ribotte, / Qui se sirote et se fait mal, / Et fait avec ses grands sanglots, / Sur les beaux lacs de l'Idéal / Des ronds dans l'eau ! / Falot, falot ! (Complainte, septembre 1884).

Ou encore :

Non, tout le monde est méchant.
Hors le cœur des couchants,
Tir-lan-laire !
Et ma mère,
Et j'veux aller là-bas
Fair'dodo z'avec elle…
Mon cœur bat, bat, bat…
Dis, Maman, tu m'appelles !


(LA CHANSON du petit hypertrophique)


Il faudrait tout citer ! On se calme. Revenons à la lune puisque c'est elle qu'aujourd'hui je cite à comparaître. Ci-après, l'un des nombreux poèmes de Jules Laforgue consacrés à l'Astre fossile. Je n'ai pas résisté à en changer un mot, un seul, promis ! [berquinades] pour le remplacer par le mien qui, spontanément, s'est substitué à celui du Poète, si plaisante fut l'assonance et si instinctive la ressemblance entre le jeune falot d'hier et le vieux falot d'aujourd'hui ! Sans oublier qu'au premier sens du terme, le mot ne signifie pas terne mais joyeux et gai compagnon (fellow en anglais).



JEUX

Ah ! la Lune, la Lune m'obsède…
Croyez-vous qu'il y ait un remède ,

Morte ? Se peut-il pas qu'elle dorme
Grise de cosmiques chloroformes ?

Rosace en tombale efflorescence
De la Basilique du Silence.

Tu persistes dans ton attitude,
Quand je suffoque de solitude !

Oui, oui, tu as la gorge bien faite ;
Mais, si jamais je m'y allaite ?…

Encore un soir, et mes bellinades
S'en iront rire à la débandade,

Traitant mon platonisme si digne
D'extase de pêcheur à la ligne !

Salve, Regina des Lys ! reine,
Je te veux percer de mes phalènes !

Je veux baiser ta patène triste,
Plat veuf du chef de saint Jean-Baptiste !

Je veux trouver un lied ! qui te touche
A te faire émigrer vers ma bouche !

- Mais, même plus de rime à Lune…
Ah ! quelle regrettable lacune !



(Extrait de L'imitation de notre-Dame la Lune, œuvres complètes de Jules Laforgue, Mercure de France MCMLI)

PS Au fait, dans l'Emirat de Fujairah ou en pays garchois, la prochaine pleine lune, c'est pour quand ? En tout cas, demain, dans le silence du Wyoming, elle brillera la lune... sois-attentif, amigo, en regardant ma sublime vidéo !