Sur le quai de la gare de St Cloud, je regardais vendredi dernier par-dessus une épaule ce titre énorme barrant la Une d'un quotidien. Ah bon ? Quels imposteurs ? S'agirait-il de membres du gouvernement amateurs de jets et de havanes et de passe-droits et de dessous de table et de cumul de mandats et de doublement d'indemnité et de permis de construire fallacieux et d'appartements de fonction de la République et… ? Mais non ! seulement nos tricolores qui venaient de s'incliner piteusement devant les Aztèques. Ouf ! on a eu très chaud. Ceci dit, pourquoi une telle outrance éditoriale pour ce non-évènement annoncé ?

Depuis belle lurette, ma religion est faite, que ce soit pour la Gaule d'Astérix ou le pays de Zapata, Mandela ou toute autre nation faisant rimer baballe avec hymne national : je hais le foot. D'une haine viscérale et totale. Le foot national, international, mondial et intersidéral. Le foot de mon enfance (tous ces dimanches de pensionnat à me geler les fesses sur les gradins !), le foot de ma maturité, le foot de ma dégénérescence programmée. Le foot et tout ce qui s'y attache comme un essaim de tiques sur un clebs galeux : fric, pub, business, vedettariat, guerre des ego et aussi médiatisation, crétinerie des supporters, instrumentalisation politique, récupération patriotique, nationalisme maquillé en franchouillard bleu-blanc-rouge ou en cacophoniques vuvuzelas...

D'où mon mépris rétrospectif ce matin devant leur déroute hexagonale, une transe béate poil à la rate qui se dilate etc.

Quand je pense au foot, d'hier, d'avant-hier et de toujours, c'est la tirade du Seigneur au long appendice qui me monte aux lèvres et m'emplit le rictus d'une ire furieuse et dédaigneuse :

Suivre des yeux une baudruche traversant à coups de pied et de vociférations un grand pré fauché, tantôt d'un côté tantôt de l'autre, quel intérêt ludique !
Non, merci.

M'offrir par procuration des frissons de bravoure macho, la chope à la main et le cul dans le sofa, bel exploit athlétique !
Non, merci.

Communier aux transes avinées d'Iroquois en délire qui gerbent leurs injures et brandissent des bannières, noble effusion mystique !
Non, merci.

Aduler ces grands benêts en shorts qui se rêvent en stars, squattent les 5 étoiles et empochent des milliards, triste dérive éthique…
Non, merci.

Confisquer les Une et les JT pour d'épiques Euros ou autres Coupes ras-le-ball, belle urgence médiatique !
Non, merci.

Instrumentaliser l'azur (délavé) en ciment sociétal et exhausteur du moral des ménages, subtile rhétorique escamotant les vrais débats géopolitiques.

Non, merci !

Non, merci !

Non, merci !

Or, dis-je et je persiste et signe, rien de nouveau sous le soleil : Panem et circenses concluaient les Anciens ; Épate et Audimat clament nos Modernes. Pour finir, ce troupeau de veaux n'a que ce qu'il mérite : à défaut de blé dans l'escarcelle, dans la mangeoire plasma du foin et, jeudi ou lundi soir, très noire au fond de l'assiette, avec ou sans Domenech, la plus aigre des piquettes, c'est vraiment très chouette !

…et en même temps fort préoccupant car « cette absence de patron, de stratégie, d'esprit d'équipe, ces talents gâchés, ces ressources ignorées et, au bout du compte, cet échec cinglant résonnent comme une métaphore cruelle. Celle d'un pays qui peine trop souvent à se rassembler, à dépasser ses morosités et ses divisions, à mobiliser ses énergies. » (Editorial du Monde du samedi 19 juin)