Hier matin, après avoir joué une improvisation romantique sur mon clavier, j'ai passé un long moment de farniente béat au jardin Albert Khan, à un jet de pierre de ma chambre.

Le soleil et la tiédeur étaient enfin de retour. Quel calme ! Quelle harmonie ! Quelle sérénité ! J'ai vite délaissé les petites sentes japonaises, hérissés de pierres, pour faire halte dans le vaste jardin à la française. Là, dans la pénombre parfumée des roses, je suis resté assis sans rien faire… ai tété mon cigarillo vanillé… puis poursuivi la lecture d'un ouvrage enchanteur (« L'élégance du hérisson »)… laissé ensuite à nouveau vagabonder mes pensées… vers les charmes de la nature… de la vie brève et appétissante… vers celles et ceux que j'aime… imprégné d'une félicité douce et légère tout près des iris, des carpes et des nénuphars, au milieu des pommiers en espaliers et des grands cèdres bleus, le tout dans des gazouillis allègres.

Oui, sans nul doute privilégié, (et pour un seul misérable euro !), j'ai vécu une véritable commotion esthétique, mais sans malaise ni douleur ! Et la concierge, Madame Michel, a bien raison - je veux parler de l'auteur Muriel Barbery, lorsqu'elle note, sidérée puis songeuse

et comblée devant la nature morte d'un artiste hollandais : « Il est si exténuant de désirer sans cesse… Nous aspirons bientôt à un plaisir sans quête, nous rêvons d'un état bienheureux qui ne commencerait ni ne finirait et où la beauté ne serait plus fin ni projet mais deviendrait l'évidence même de notre nature. Or, cet état c'est l'Art. » Contemplation. Apesanteur. Ataraxie. C'est le jardin Albert Khan. C'est partout où l'Art se dévoile. Car, dans une roseraie de Boulogne ou dans une miniature de Pieter Claesz, dans un recueil de Baudelaire comme dans un lied de Schubert, l'Art est un fragment d'existence sans durée. Une parcelle de beauté offerte sans crispation ni vouloir.

L'Art, c'est l'émotion sans le désir.




Détail : Nature morte de Pieter Claesz (1597-1661)