Je contemplais hier matin cette immense étendue. Face à moi, invisible dans la brume, aussi improbable qu'incontestable, le Pakistan. Que fais-je ici ? – me disais-je – petit Boulonnais ayant horreur du soleil implacable, des voyages fatigants et des contrées lointaines. Il n'empêche, ce dépaysement est salutaire, jouissif, essentiellement poétique : après un bain dans une eau plus que tiède, j'ai ramassé des coquillages sur la grève. Que de splendeurs variées, multicolores “porcelaines” au creux de ma main ! Un délassement de rêve entre horizon marin et dunes solitaires…

Un peu plus loin, un groupe de pécheurs tiraient leurs filets dans un concert bruyant d'oiseaux voraces. Tous vêtus de pagnes élégamment retroussés, musculeux, bronzés, chacun à son affaire. (Je n'ai pu m'empêcher de ressentir un trouble même s'il n'y a pas de contrée officiellement moins homoérotique que ce petit Emirat de l'Est alors que paradoxalement la concentration virile, l'élégance des “dishdash”, longues robes immaculées, la beauté cuivrée de chaque travailleur indien, tout est une permanente invite à la jubilation des sens.)





Ce n'était pas une pêche miraculeuse, au sens biblique du terme, juste une pêche ordinaire – quoique particulièrement abondante ce jour-là - où se marient le savoir-faire ancestral des hommes dans une amicale connivence avec le monde animal, ici les innombrables oiseaux chapardeurs (mouettes, goélands et cormorans inextricablement entremêlés dans leur ballet de haut vol) et là, frétillante, argentée, l'abondance de “pilchars” offerts par une mer ponctuelle et généreuse. De la précision et de l'efficience dans le moindre geste, une efficace indolence, un tableau d'ensemble plus artistique que technique (du moins à mes yeux rêveurs), et des rires tandis que les habitants de Kalba ont le droit de prélever un peu du butin échappé des filets tractés sur la rive.

Ce soir, un “ hamour ” (!), délicieux mérou cuisiné par l'Ami fera notre régal et nous trinquerons avec un généreux Alter ego Château Palmer 2004 acheté au Duty Fry de Roissy. Certes, ça ne vaut pas un Château Margaux – a-t-il expliqué au béotien que je suis (et qui s'est fait embobiné par une vendeuse aussi rouée qu'incompétente) – mais qu'importe le flacon, pourvu qu'on ait l'ivresse !