Une lettre que j'aurais aimé avoir écrit… avoir eu le temps d'écrire… si maman n'était pas décédée prématurément… si j'avais été une fille… si… si…

Petite mère,

je vais laisser ce courrier sur votre bureau. Curieux procédé, j'en conviens, pour deux êtres si intimes depuis trente ans ! Pardon de vous avoir éveillée si tard à mon retour (maudits grincements du parquet !). Dans votre demi-sommeil, j'ai dû vous border et vous rassurer sur mon sort : ni viol ni Samu ! Et ce matin pourtant, je suis autre. Définitivement. La muraille a cédé, je peux desceller mon secret. Si lourd depuis tant d'années, depuis l'aube de ma vie en fait… Je ne trouvais jamais les mots, j'attendais le bon moment. Aujourd'hui, votre fille s'ouvre enfin comme un fruit mûr…

Vous vous rappelez ce René dont je vous ai parlé en septembre à mon retour de vacances… Je revois votre joie ébahie, votre main tremblante qui effleura ma joue puis votre bonheur détonant : votre grande chérie amoureuse ! Enfin ! avez-vous soupiré, extatique. J'ai rougi, j'ai calmé votre ardeur ; agacée, au fond, presque humiliée par votre bonheur. Y a-t-il un temps pour aimer ? Une date de péremption impérative ? Qu'importe, c'est bien l'amour oasis, oui, mon aurore boréale ! Et je sais depuis cette nuit que je suis toute neuve, le printemps a dégelé mon âme, désaltéré mon corps…

Je dois vous en écrire plus. Le faut-il ? Est-ce si important ? Si différent ? Rien de grave, simple question de genre, ça tient juste à un 'e', minuscule voyelle, aussi menue qu'un baiser qui voltige et papillonne, jamais où on l'attend. Et c'est ce petit rien qui me comble et m'enchante, et qui m'accomplit quand vous allez vous effondrer peut-être. Pardonnez-moi : mon trésor s'appelle… Renée. Juste un détail final qui ne change rien, n'est-ce pas ? Et Renée coïncide avec Bonheur, pas avec lesbienne. Tant pis pour la rime ! Les étiquettes, le qu'en dira-t-on, ma honte ne me concernent plus. Je n'ai plus peur. Seule l'improbable nouvelle : je renais à moi-même !

Ne pleurez pas, petite mère, je vous en prie : aujourd'hui, ça bouge de plus en plus, tout devient possible pour nous autres, je vous assure, même des rires d'enfants ! Il n'y a plus de malédiction et je demeure votre unique. Et vous, vous restez mon irremplaçable : le berceau de vos bras quand ma solitude de petite fille n'a plus que cette tiédeur fidèle pour ne pas dépérir. Alors, plus que jamais je vous dis merci et vous souhaite le bonjour, jour de bonté pour toutes trois.

Je vous aime. Aimez-nous si vous pouvez…

A ce soir.

Michèle, votre fille qui vous aime.