En rentrant de courses, je retrouve France-Musique que j'ai laissée branchée (parfois, je redoute de retrouver le silence). C'est mon fil conducteur, un fil d'Ariane impalpable et tenace. M'accueillent ce matin, sitôt franchi le seuil de ma chambrette, les toutes premières mesures du larghetto du Quintette pour clarinette de Mozart sous les doigts et le souffle d'Alfred Meyer en direct. Une telle beauté me cloue sur place et je m'effondre dans mon fauteuil, toutes affaires cessantes. En un instant, je suis passé du trivial (une fermeture éclair à remplacer !) au génial : l'un des plus beaux extraits musicaux à « faire pleurer les pierres », prière d'une âme isolée toute entourée d'abîmes, disait Einstein. Je n'aurai pas trop du reste de ma vie pour tenter de comprendre l'ensorcellement de la musique, cette mystérieuse vibration d'air qui caresse ou stimule. Si l'on m'assurait, si l'on me garantissait que le Ciel ne sera qu'harmonie, concerts, musique de chambre plus que symphonie… je serais prêt à croire à nouveau en l'Éternel en m'engageant, moi, à ne pas peloter les anges ! En attendant, hic et nunc, écoute et ravissement : dans ce second mouvement – Mozart composait pour la première fois pour un tout nouvel instrument à vent – la clarinette et le violon s'enlacent comme deux amoureux. Qu'il est donc doux d'aimer ! Comme c'est délicieusement triste parce que fugace et par avance périmé. Mais cette petite dizaine de minutes, c'est mon éternité heureuse ! « Souvent pourtant, il ne se passe rien. Mozart ne surprend jamais. Ou quand il surprend, c'est comme l'évidence. Mais évidence de quoi ? De la beauté ? de la joie ? de la douceur ? Sans doute. Rien de méchant, chez Mozart, et cela touche encore à l'éthique. “ Il faut que les notes s'aiment ”, disait-il. La formule, qui peut paraître mièvre, approche pourtant du mystère. Que serait la beauté, si nous ne l'aimions pas ? Et quelle autre joie que d'aimer ? Quelle autre douceur, contre la violence ou l'amertume ? Au fond il n'y a que l'amour qui vaille, ou plutôt rien ne vaut que par lui, et c'est ce que signifie Mozart. Agis de telle sorte que tu ne sois pas indigne de l'écouter ! » (Compte-Sponville, Impromptus, PUF, 1996).

Image : MOZART, peint par Greuze.