JE VEUX UN SABRE TURC...
Par Michel Bellin le samedi 16 mai 2009, 09:13 - Lien permanent
Je commence cette journée de samedi dans l'indolence. Quelques biscuits secs, un Nespresso Ristretto, et un verre de Pur Premium ‘Rouge plaisir'. J'ai vite éteint la radio (vomitus matutinus !) et, dans le silence de ma chambrette, je feuillette un livre de poésie intitulé « Les cent poèmes du bonheur ». Ma maudite céphalée est déjà à l'affut, mais j'ai décidé de l'ignorer et de l'annihiler par la musique : après le pur joyau de Théophile Gauthier, ce sera la merveilleuse sonate N°21 de Franz Schubert sous les doigts de Mitsuko Uchida. Rêveur et mélancolique, j'aime fredonner le premier mouvement où tout est lumière et ténèbres, souffrance et silence intérieur, solitude et lien avec tous les êtres aimés, spécialement l'Ami que j'ai quitté il y a quelques jours dans son lointain Emirat et que je retrouverai bientôt… si Allah y consent.
Délicieuses et cuisantes larmes...
« Je veux un sabre turc, un poignard indien
Dont le manche de saphirs brille ;
Mais surtout je voudrais un cœur fait pour le mien… »
Délicieuses et cuisantes larmes...
« Je veux un sabre turc, un poignard indien
Dont le manche de saphirs brille ;
Mais surtout je voudrais un cœur fait pour le mien… »
SOUHAITS
Si quelque jeune fée à l'aile de saphir,
Sous une sombre et fraîche arcade,
Blanche comme un reflet de la perle d'Ophir,
Surgissait à mes yeux, au doux bruit du zéphyr,
De l'écume de la cascade,
Me disant : « Que veux-tu ? larges coffres pleins d'or,
Palais immenses, pierreries ?
Parle ; mon art est grand. Te faut-il plus encor ?
Je te le donnerai ; je puis faire un trésor
D'un vil monceau d'herbes flétries ! »
Je lui dirais : « Je veux un ciel riant et pur
Réfléchi par un lac limpide,
Je veux un beau soleil qui luise dans l'azur,
Sans que jamais brouillard, vapeur, nuage obscur
Ne voile son orbe splendide ;
« Et pour bondir sous moi je veux un cheval blanc,
Enfant léger de l'Arabie,
À la crinière longue, à l'œil étincelant,
Et, comme l'hippogriffe, en une heure volant
De la Norwège à la Nubie ;
« Je veux un kiosque rouge, aux minarets dorés,
Aux minces colonnes d'albâtre,
Aux fantasques arceaux d'œufs pendant décorés,
Aux murs de mosaïque, aux vitraux colorés
Par où se glisse un jour bleuâtre ;
« Et quand il fera chaud, je veux un bois mouvant
De sycomores et d'yeuses,
Qui me suive partout au souffle d'un doux vent,
Comme un grand éventail sans cesse soulevant
Ses masses de feuilles soyeuses.
« Je veux une tartane avec ses matelots,
Ses cordages, ses blanches voiles
Et son corset de cuivre où se brisent les flots,
Qui me berce le long de verdoyants îlots
Aux molles lueurs des étoiles.
« Je veux, soir et matin, m'éveiller, m'endormir
Au son de voix italiennes,
Et pendant tout le jour entendre au loin frémir
Le murmure plaintif des eaux du Bendemir,
Ou des harpes éoliennes ;
« Et je veux, les seins nus, une Almée agitant
Son écharpe de cachemire
Au-dessus de son front de rubis éclatant,
Des spahis, un harem, comme un riche sultan
Ou de Bagdad ou de Palmyre.
« Je veux un sabre turc, un poignard indien
Dont le manche de saphirs brille ;
Mais surtout je voudrais un cœur fait pour le mien,
Qui le sentît, l'aimât, et qui le comprît bien,
Un cœur naïf de jeune fille ! »
Théophile Gautier — Premières Poésies