Critique de Claude PUZIN

in Pagaye, mai 2009


MÉLANCOLIE D'UN ANGE FIÉVREUX

À lire le nouveau roman de Michel Bellin, on ne sait trop ce qu'il faut admirer le plus, de l'étonnante symbiose entre l'auteur et son personnage ou de l'implacable satire d'une société provinciale. Symbiose puisque le héros, Paul Siméon, mort noyé – un suicide sans doute – dans un étang, au seuil de ses vingt ans, a réellement existé et que Michel Bellin a eu en mains ses cahiers intimes, écrits d'août 1919 à août 1920. Satire, puisque la « mélancolie », au sens fort du terme, tient à la sourde révolte d'une vive sensibilité, d'un tempérament de feu, d'une âme de poète contre un monde figé, caparaçonné de conventions et de tabous, dans lequel les parties de tennis, sur les courts des belles demeures, ne constituent guère, pour les jeunes filles en fleurs que tente d'aimer Paul, que le terrain des chasses bourgeoises, aux maris ou plutôt aux mariages bien assortis, entre soi. Si les vrais, les grands romans sont ceux dont les personnages continuent à nous hanter, une fois le livre dévoré et refermé, celui-là en est un sans conteste. Comment oublier le couple fascinant, de l'adolescent, de l'ange foudroyé d'autrefois, tout à son rêve secret, des ailleurs et des amours viriles, et de l'homme fait d'aujourd'hui, devenu son complice, ou, pour mieux dire, son amant : le romancier en état de grâce ?

[Éminent spécialiste du XVIIe siècle français, Claude Puzin est professeur agrégé de chaire supérieure en lettres classiques et auteur de « Louis de Bourbon ou le soleil maudit », roman historique paru aux Editions T.G.]


Critique d'Yves GAUTHIER

pour le site culturel québécois Info-culture.biz (mai 2009)

http://www.info-culture.biz/etepleindefleurs.html

Vrai-faux journal romanesque Cet été plein de fleurs (Editions de l'Harmattan à Paris) est une œuvre singulière. En effet, son héros Paul (1900-1920) a d'emblée été élu homme-muse et alter ego de l'auteur. Du coup, l'écrivain est ce fils de la Bresse qui à vingt ans exprimait le désir de prendre la mer. Pour Paul Siméon, âgé de 19 ans en 1919 la vie n'est pas simple. Petit-bourgeois, vivant dans le château familial, avec sa mère et ses quatre sœurs, dans le Jura, l'adaptation à la vie est difficile. Esthète, âme d'artiste, amateur d'art visuel et de littérature, le pauvre se sent obligé d'entreprendre des études à Paris dans un domaine qui ne lui convient nullement, où les sciences occupent une partie importante du cursus. « Sourire pour ne pas souffrir, pas trop, telle est ma devise ». Sacré nom d'un macaroni !

Ce jeune homme tient un journal personnel, qu'il nomme ses chroniques. Il y met son âme à nue. Neurasthénique, mélancolique, bipolaire, Paul ne se sent vraiment bien qu'en contact avec la nature sauvage. Mais ses études à Paris, quoique propices aux nombreuses visites de musées, apportent son lot de déceptions. Déterminantes. Troublé par une sexualité ambivalente, Paul tout en étant conscient, ne veut pas s'avouer son attirance pour les jeunes hommes qui lui plaisent. Tout se définit à l'aune de l'esthétisme. Que ce soit les jeunes adolescentes de 14-15 ans qui le troublent ou encore de jeunes hommes au port altier et à la démarche virile. Qu'est-ce qui l'attirait tant dans la marine ? Est-ce que le désir de devenir membre de la marine militaire sourdait d'un désir inavoué (inavouable) d'être en présence constante de nombreux Kouros ? Ou était-ce pour plaire à la famille ? Nul ne le saura jamais car Paul est soudainement disparu de ce monde au début de la vingtaine. Paul n'avait pas réellement goût à la vie et cette petite réflexion sur la perception qu'il en avait est hautement significative « … on se reproduit, on vieillit, on épargne ». Ce n'est pas là regard serein sur le futur.

Avec Cet été plein de fleurs, le lecteur découvre en Michel Bellin un écrivain de haute voltige. Une plume agile, un vocabulaire précis, des descriptions minutieuses, des réflexions judicieuses bref, une joie littéraire de tous les instants. Bellin rapporte une phrase de Paul au sujet d'un de ses auteurs favoris Charles Nodier : « Comme sa plume adroite sait animer la moindre anecdote et dépeindre le sentiment le plus subtil ! ». Remarque qui convient très bien à Bellin. Pas de fioritures inutiles, pas d'élans poétiques exagérés. Uniquement le mot juste, le sentiment réel, la vie palpable, tout simplement, sans tartufferie. Il est vrai que le rythme est lent. Mais d'une lenteur charmante qui est celle d'une vie se déroulant en milieu campagnard.

Dans la préface, Bellin souhaite qu'au moins un lecteur développe de l'empathie envers Paul. Qu'il ne s'inquiète pas, de ce côté de l'Atlantique c'est déjà fait !