LES SŒURS DE CHARITÉ
Par Michel Bellin le dimanche 8 mars 2009, 08:28 - Lien permanent
Cet illustre poème (si complexe et si lumineux !) que j'ai fini par apprendre par cœur figure à l'avant-dernière page de mon dernier livre précédé de la mention « En guise d'épitaphe ». Hommage désenchanté à la féminité ? En tout cas, écrit de circonstance en cette Journée mondiale de la Femme dont on peut d'ailleurs s'interroger sur l'opportunité.
Rimbaud n'avait pas encore 17 ans lorsqu'il composa ce texte et l'envoya à Verlaine (août 1871). Ce dernier le recopia fidèlement, sauvant sans doute cette page des mains purificatrices de sa femme Mathilde.
La semaine dernière, sur le site du Monde.fr, je me suis gentiment pris de bec avec une certaine Louise Gaggini, passionaria enragée autant qu'écrivaine prolixe et exaltée (à quel sujet ? Evidemment la mise en boîte de DSK pas Stéphane Guillon ! La dame n'avait pas, mais pas du tout apprécié.). Je l'ai gentiment chambrée. Je crois que nous nous sommes quittés pas trop fâchés après cet ultime pastiche pour clore notre passe d'armes :
« … puisque vous préparez un nouveau manuscrit, d'auteur à auteure, foin d'imposture, revenons à la Littérature. Vous êtes sans aucun doute femme consolatrice ; c'est donc dans votre giron, suspendu à vos lèvres, sous vos longs cheveux blonds, ô Femme, monceau d'entrailles, pitié douce, c'est donc à vous, ma sœur de charité, que je confierai la peine d'un écrivain manchot que sa plume a niqué : “ Je suis le Ténébreux, le Veuf, l'Inconsolé/Je suis le Ténébreux et vous l'Illuminée/Je suis le Ténébreux dans le frais cresson bleu/Je suis le Ténébreux, je vis par vos beaux yeux/Je suis le Ténébreux, le gland, le vénéneux/Je suis le Ténébreux étrange et pénétrant/ Je suis le Ténébreux, vous, Louise et moi… Tarzan !” »
Rimbaud n'avait pas encore 17 ans lorsqu'il composa ce texte et l'envoya à Verlaine (août 1871). Ce dernier le recopia fidèlement, sauvant sans doute cette page des mains purificatrices de sa femme Mathilde.
La semaine dernière, sur le site du Monde.fr, je me suis gentiment pris de bec avec une certaine Louise Gaggini, passionaria enragée autant qu'écrivaine prolixe et exaltée (à quel sujet ? Evidemment la mise en boîte de DSK pas Stéphane Guillon ! La dame n'avait pas, mais pas du tout apprécié.). Je l'ai gentiment chambrée. Je crois que nous nous sommes quittés pas trop fâchés après cet ultime pastiche pour clore notre passe d'armes :
« … puisque vous préparez un nouveau manuscrit, d'auteur à auteure, foin d'imposture, revenons à la Littérature. Vous êtes sans aucun doute femme consolatrice ; c'est donc dans votre giron, suspendu à vos lèvres, sous vos longs cheveux blonds, ô Femme, monceau d'entrailles, pitié douce, c'est donc à vous, ma sœur de charité, que je confierai la peine d'un écrivain manchot que sa plume a niqué : “ Je suis le Ténébreux, le Veuf, l'Inconsolé/Je suis le Ténébreux et vous l'Illuminée/Je suis le Ténébreux dans le frais cresson bleu/Je suis le Ténébreux, je vis par vos beaux yeux/Je suis le Ténébreux, le gland, le vénéneux/Je suis le Ténébreux étrange et pénétrant/ Je suis le Ténébreux, vous, Louise et moi… Tarzan !” »
Le jeune homme dont l'œil est brillant, la peau brune,
le beau corps de vingt ans qui devrait aller nu,
Et qu'eût, le front cerclé de cuivre, sous la lune
Adoré, dans la Perse, un Génie inconnu,
Impétueux avec des douceurs virginales
Et noires, fier de ses premiers entêtements,
Pareil aux jeunes mers, pleurs de nuits estivales
Qui se retournent sur des lits de diamants ;
Le jeune homme, devant les laideurs de ce monde
Tressaille dans son cœur largement irrité,
Et plein de la blessure éternelle et profonde,
Se prend à désirer sa sœur de charité.
Mais, ô Femme, monceau d'entrailles, pitié douce,
Tu n'es jamais la sœur de charité, jamais,
Ni regard noir, ni ventre où dort une ombre rousse,
Ni doigts légers, ni seins splendidement formés.
Aveugle irréveillée aux immenses prunelles,
Tout notre embrasement n'est qu'une question :
C'est toi qui pends à nous, porteuse de mamelles,
Nous te berçons, charmante et grave Passion.
Tes haines, tes torpeurs fixes, tes défaillances,
Et tes brutalités souffertes autrefois,
Tu nous rends tout, ô Nuit, pourtant sans malveillances,
Comme un excès de sang épanché tous les mois.
Quand la femme, portée un instant, l'épouvante,
Amour, appel de vie et chanson d'action,
Viennent la Muse verte et la Justice ardente
Le déchirer de leur auguste obsession.
Ah ! sans cesse altéré des splendeurs et des calmes,
Délaissé des deux Sœurs implacables, geignant
Avec tendresse après la science aux bras almes,
Il porte à la nature en fleur son front saignant.
Mais la noire alchimie et les saintes études
Répugnent au blessé, sombre savant d'orgueil ;
Il sent marcher sur lui d'atroces solitudes.
Alors, et toujours beau, sans dégoût du cercueil,
Qu'il croie aux vastes fins, Rêves ou Promenades
Immenses, à travers les nuits de Vérité,
Et t'appelle en son âme et ses membres malades,
Ô Mort mystérieuse, ô sœur de charité.
Arthur Rimbaud, Poésies, Gallimard, La Pléiade, 1972.
[Cruellement déçu parla femme, le jeune homme s'est tourné vers la Muse verte et la Justice ardente – l'absinthe et la révolution – mais il est à nouveau déçu. La science alors ? Décevante également. Les études ne peuvent remplir l'atroce solitude. Le jeune homme se tourne alors vers le Néant. Celui-ci se présente comme un espace immense, comme une nuit. C'est la Mort qui est la vraie Sœur de charité.]