Le frigo était dégivré, avec un message expliquant les gestes qui sauvent pour faire repartir un réfrigérateur. Sur la table de la cuisine, une lettre concernant la maison : il se doutait que j'allais vendre et tentait une dernière offensive pour empêcher cette ignominie.

Sur la table du salon, un mot expliquait justement les explications qu'il me faudrait fournir aux voisins : pas question de suicide, mais une mort naturelle, du moins dans un premier temps. Une autre missive suggérait des obsèques les plus brèves possibles et la liste des intimes à inviter.

Enfin une dernière lettre éclairait les zones d'ombre de la comptabilité paternelle. Quant aux motifs de cette disparition brutale, ils étaient expédiés en référence à la mort de ma mère quelques années auparavant. J'ai posé sur tout cela un regard vaguement désemparé, le cœur serré, puis j'ai cherché la lettre qui m'indiquerait ce que je devais faire de ma vie.

Il n'y en avait pas.

Marc Villard, Bonjour, je suis ton nouvel ami, Ed. L'Atalante.

Autres gestes désespérés (dans le même opus) :

Suicide 1

Mardi dernier, j'étais franchement déprimé. Marseille avait pris trois buts dont un entaché de hors-jeu, personne n'avait rempli le distributeur de Mars du cinquième étage et Madeleine Chapsal publiait un nouveau roman. Quand à mon récent voisin de palier, il s'avérait -au plan politique- légèrement à droite d'Adolf Hitler. J'ai ruminé tout cela pendant le repas du soir puis, sur le coup de minuit, pour en finir, j'ai essayé de me trancher les veines avec le rasoir électrique. Ca a foiré, comme d'habitude.

Suicide 2

L'été dernier, à Eyragues, lassé du soleil, de la piscine, de la tapenade, des saucisses au feu de bois et du pastis obligatoire, je me suis décidé à mettre un terme à ma vie. Par noyade. A minuit, je suis descendu dans la salle de bain en étouffant mes pas. J'ai fermé la bonde du lavabo et j'ai laissé l'eau couler sur ma nuque, le nez dans la vasque. Comme je commençais à manquer d'air, Christine s'est pointée à la porte pour me lancer :

- Tu te laves les cheveux à minuit ! Ça s'arrange vraiment pas.

Suicide 3

Hier, j'ai tenté de me jeter par la fenêtre de mon appartement au troisième étage de l'immeuble. J'avais dans l'esprit ces suicides hollywoodiens : des femmes prises de boisson passant par la baie vitrée de leur penthouse éclairé a giorno. Ma fenêtre à moi est étroite et située à un mètre cinquante du sol. Il faut donc monter sur une chaise pour atteindre le rebord et, parvenu à niveau, se mettre à croupetons pour se glisser à l'extérieur.

Eh bien, qu'on ne compte pas sur moi pour mourir à plat ventre. J'ai quand même des restes de dignité.

Suicide 4

Ce matin le ciel était bas et mon moral en berne. J'ai pris le pistolet de Christine -celui avec lequel elle allume ses cigarillos Davidoff- et, sans faiblir, me le suis enfoncé dans la bouche.

J'ai vu toute ma vie défiler dans une R8 Gordini et c'était franchement déprimant. Puis, je me suis souvenu d'un autre homme exécutant le même geste. Je l'appelais papa mais ce n'était pas mon père. Alors j'ai reposé le briquet et suis allé m'asseoir devant la télé éteinte, brassant dans ma tête des images d'une infinie détresse.


Petit commentaire personnel : J'ai toujours eu un faible pour cet auteur. Normalement déprimé, parfois cynique, quelquefois pitoyable – par exemple dans ses pathétiques vraies-fausses tentatives de suicides – l'homme, Marc Villard, nous entraîne dans son quotidien de père de famille mangeur de Prozac, dans les couloirs de son entreprise (près du distributeur de sucreries), sur ses lieux de vacances… Vingt-neuf nouvelles comme autant de joyaux qui, finalement, nous racontent aussi nos vies, nos émois, nos doutes, nos lâchetés et nos compromissions. Des textes sensibles, drôles, cruels, acérés, subtils. Et quel style !

A découvrir aussi sur son site : http://www.marcvillard.net/index.php