Le Queyras n'est pas un pays austère : peu de régions
de montagne sont aussi riantes. La population y est à la fois
accueillante et avisée. Le Queyrassin est un montagnard mé-
ridional ; du montagnard il a la vigueur, l'équilibre, l'ardeur
au travail ; du méridional l'intelligence subtile, l'amabilité et
la gaîté. On sera partout reçu avec cordialité, et avec le désir
sincère d'aider le touriste, de lui faciliter la vie et de lui êtreagréable.


(extrait du topo-guide édité par la Fédération Française de laRandonnée Pédestre)


Depuis deux ou trois jours, il pleuvait sans discontinuer dans ce coin perdu du Queyras et j'étais réduit à l'inactivité. Benjamin aurait dû me rejoindre depuis le début de la semaine, du travail en retard l'en avait empêché. Bref, je m'emmerdais. Accoudé au bar, je rêvassais… La météo avait annoncé le retour du beau temps mais rien ne semblait venir : d'épais nuages au ras des ardoises, une luminosité blafarde, une bruine glaciale. Le mieux eût été de rester sagement sous la couette mais, seul, cette grasse matinée forcée n'avait pour moi aucun charme. Je ne caressais qu'un rêve : retrouver mon pote et lui mettre la main au paquet dès qu'il franchirait la porte de la soupente rustique qui me tenait lieu de chambre. C'était un hôtel simple mais la bouffe était super, traditionnelle et copieuse. A travers la baie du toit, je voyais le haut des cimes ou plutôt, je ne voyais plus rien, du gris, encore du gris, un sale couvercle épais pesant sur mes projets de ballade et sur mes rêves torrides. « Je n'appellerai pas, m'avait écrit Benjamin. Je te ferai la surprise… » Alors, j'en étais réduit à imaginer nos retrouvailles après ces quinze jours d'absence qui m'avaient semblé durer une éternité.

Je visualisais déjà notre scénario préféré quand nous sommes séparés depuis plusieurs semaines : sitôt en contact, sans dire un mot, nous nous collons l'un à l'autre. On s'empoigne le cul. Chacun palpe la croupe de l'autre déjà frémissante. Puis nous nous frottons, bite contre bite, et nous sentons nos sexes qui enflent et s'arc-boutent. Alors, nous abandonnons la face bombée Sud et nous palpons le promontoire avant. Le relief en est saisissant ! Les mots sont superflus, nos deux bouches ventouses sont bien plus éloquentes… J'adore humer l'odeur fauve au creux du cou tandis que Benjamin, après avoir glissé sa paluche dans ma chemise, m'agace les poils des aisselles puis y colle ses lèvres gourmandes. Nos hanches continuent d'onduler, braguette contre braguette. Le tissu se tend à se rompre. Je fais rouler sous mes doigts impatients ses deux grosses agates et déjà, tandis que je ferme les yeux, je les imagine : lourdes, rubicondes, soigneusement épilées, surtout la gauche, la mignonnette, celle qui pend un peu plus lorsque le sac est flasque et violacé. Les minutes ne comptent plus, le temps semble suspendu. Benjamin a pris mon téton droit entre ses dents, son préféré, et il l'agace et le mordille. Je gémis à peine, j'adore cette délicieuse souffrance qui me vrille le sein. Et puis, tout s'accélère, tout s'exaspère comme si un très bon génie venait donner le signal du cataclysme. Nos corps n'attendent plus : les gosiers sont secs, les doigts crispés, chaque queue a pleuré sa larme d'impatience.

Ce qui s'ensuit ressemble alors à une lutte fratricide, une violence pleine de tendresse exaspérée : les fringues sont arrachées, la chair griffée… La boucle de la ceinture est une malédiction, je m'acharne, il rit de mon supplice. Benjamin reste debout, légèrement cambré et je m'écroule devant lui encore tout harnaché. Il rit de plus belle et m'aide à dégager la ceinture. Il est à moi ! Je tire le froc vers le bas mais l'énorme braquemart le retient comme un croc de boucher. J'aime cette résistance périlleuse, j'en joue… Lui, il ondule du croupion pour dégager l'engin. Voilà qui est fait. Le trésor est à moi, bien à moi. Super ! Pour me faire plaisir, mon pote a daigné mettre le jockstrap bordeaux que je lui ai offert à Noël et non les flasques caleçons à rayures dont il a l'habitude. Tout le secteur sud-ouest est terriblement enflé. Un bâton de dynamite ! Je passe ma main droite dans le val humide entre les fesses hospitalières. Je fais glisser ma main sur le tranchant entre les cuisses, juste sous le mont Scrotum où le coccyx affleure. C'est brûlant et légèrement granuleux D'avant en arrière, comme si je sciais le tronc dans le prolongement de la raie. Benjamin geint et se tortille de plus belle. Alors, sans crier gare, comme si je dégainais un sabre, je sors la bite et l'extirpe de la gaine de tissu. Sans ménagement. Comme si je lui déclarais la guerre. Elle me fixe de traviole avec son gros œil baveux et écarquillé. Elle veut me résister ? Elle croit m'impressionner ? Alors je l'empoigne, je la compresse, je la tords comme si je dévissais un bouchon pour faire jaillir le divin nectar. Benjamin se met à geindre. Il a appuyé de tout son poids sur mes épaules, maintenant il fourrage dans ma chevelure, tire mes tifs avec délectation. Du coup, ma rage décuple… Tandis que mon index gauche sonde au plus profond le fion moite et dilaté, mon poing contracté branle la queue turgescente. Avant arrière, avant arrière, pas de pitié. Le gland incarnat brille comme un rubis tandis que le méat ainsi titillé s'ouvre et palpite comme une ouïe de brochet. L'anus aspire mon doigt jusqu'à la dernière phalange, Benjamin va me scalper, ma main s'élargit de plus en plus autour de la banane flambée qui va juter d'un instant à l'autre… Benjamin se met à gueuler. Aaaaaaaah… Un grand choc, j'ouvre les yeux. J'ai cogné la table et renversé ma bière qui mousse sur le comptoir vermoulu. L'hôtelier, vaguement intrigué me lance un regard réprobateur mais néanmoins amical. « Un problème ? » - « Excuses… Euh ! Je somnolais, j'ai dû m'endormir… Pas étonnant avec ce temps de cochon ! »

C'est alors que la clochette accrochée à la porte de la salle à manger retentit. Je me retourne sans me presser, il pleut toujours, je n'attends rien ni personne en cette fin de matinée interminable. Même Benjamin me semble improbable… Et ils entrent tous trois, trio impayable : papa, maman et fiston. Le père d'abord, style banquier suisse déguisé en alpiniste du dimanche avec sa culotte tyrolienne mettant en avant un bidon obscène et sa canne flambant neuve. La mère ensuite, mater dolorosa, les yeux en code et la poitrine avachie de sommeil. Et puis le fils, à peine dix-huit printemps, un grand gars dégingandé à la peau laiteuse. Ce qui me frappe, c'est sa tristesse, une immense résignation, comme si, encadré de deux cerbères, il arrivait à Cayenne par une froide journée d'hiver. Et nous sommes fin juillet, le soleil va briller et la vie est belle, Bon Dieu ! En passant près de moi, de ses beaux yeux de biche langoureuse, tel un martyr de la piété filiale, il laisse couler vers moi un message muet et désespéré. J'en rougis et plonge le nez dans ma choppe pour laper le peu de bière qui y reste. La sainte famille a loué pour quinze jours, ils parlementent avec le patron qui s'empresse et leur montre leur place dans la salle à manger. Puis ils montent se changer à l'étage, le fils traînant les pieds dans l'escalier, morne et résigné.

Je me suis installé à la table voisine et commence à grignoter ma salade composée. Tiens ! Un rayon de soleil inespéré. Avec son bouquet de chardons et ses eaux-fortes naïves, la pièce devient tout de suite plus gaie. La sainte Trinité rapplique avec solennité, toujours dans le même ordre : le père pompeux, le fils blême, la mère zombie. Ils s'assoient, déplient leurs serviettes, se mettent à manger. Un silence total, épais, impitoyable. Seules les mandibules du financier replet. Le père s'empiffre, le fils grignote (sa belle pomme d'Adam fait des va et vient émouvants), la mère rêvasse. J'observe sur la nappe les mains blanches du fils, les longs doigts effilés, pas un poil, pas une ride, pas une once de graisse, des mains dignes de Rodin. Je les imagine déjà affairées au meilleur : le majeur et le pouce décalottent ma verge brûlante et commencent avec entrain leur petit rodéo… Soudain, c'est le drame muet. En fait un psychodrame qui a l'air tout à fait anodin. Fiston pisse du nez. Son père le foudroie du regard, maman lève vers lui des yeux de madone. Lui, ne s'émeut pas, il semble avoir l'habitude : avec sa serviette, il fait délicatement un tampon sous le nez, se lève calmement puis se dirige vers les toilettes. En passant près de ma chaise, ses prunelles éteintes quêtent un réconfort…

Cette vision tragi-comique m'a tout retourné. Ce gamin est captif, condamné aux vacances, sans doute puceau ! Sa vie luxueuse doit être un enfer. Je l'imagine triste, solitaire, pédé honteux. Même ses branlettes doivent ressembler à un pensum scolaire, un petit rituel hygiénique, sans joie, sans lyrisme, vite bâclé. Je l'imagine sur le trône des chiottes ou allongé dans son grand lit à baldaquin : toujours ses grands yeux tristes, l'air absent, et sa belle main droite astiquant machinalement une longue queue molle et défaillante. Rêve-t-il de Prince Charmant ou d'un Superman hyper musclé ? S'imagine-t-il agrippé à une liane et s'évadant de sa chambre immense et glaciale, enjambant le Boulevard des Maréchaux et s'enfuyant nu vers la jungle des plaisirs défendus ? Il faut que je le sauve et que je l'initie au bonheur. Non, tu n'oseras pas, de quoi te mêles-tu ? Mais si, je serai son Messie. Papa et maman n'ont qu'à bien se tenir !

Le lendemain (c'est un mercredi et le soleil est enfin de la partie), j'ai déjà pris place dans la salle à manger pour ne pas rater mon lieu d'observation. Ils entrent, toujours le trio dans l'ordre perdant : le père avec componction, le fils avec résignation, la mère avec dévotion. Le repas commence, nulle conversation, seules les mandibules acharnées. Après la tartiflette (savoureuse mais un peu tiède), comme prévu, c'est la séquence de la Mer Rouge. Le père dégaine ses yeux, la mère implore muette, le fils livide obture sa narine… C'est le signal, je m'esquive et fonce vers les toilettes…


[Suite et fin demain]