Dans ma quête, moi qui suis devenu matérialiste par raison, j'ai relu récemment le livre d'un biologiste de renom Jean-Didier Vincent (“Biologie des passions”, Odile Jacob, 1986), fort bon écrivain et adepte de l'humour – ce qui devient de plus en plus rare ici ou là, surtout de la part de ceux, sans doute hétéronormés, qui « jugent » et « savent » avec il est vrai un doigt d'indulgence compassionnelle. Un court extrait pris dans son chapitre « Corydon et les hormones ». Le savant écrit : « Notre condition de biologiste nous invite à rechercher les causes de l'homosexualité dans quelques sécrétions hormonales qui seront qualifiées d'anormales et de l'illustrer d'exemples animaux tendant à montrer la commune bestialité des choses sexuelles. Mais, oubliant notre condition, nous pourrions au contraire proclamer que l'homosexualité n'appartient qu'à l'homme, qu'elle est le produit de son inconscient et la fleur « vénéneuse » de sa culture. Dans l'un des cas, il s'agira de soigner cette « anomalie » ; et dans l'autre, de reconnaître à travers ses errements la toute-puissance de l'esprit – deux attitudes qui nous paraissent tout autant condamnables. L'homosexualité, variété de la passion amoureuse, n'est qu'une modalité parmi d'autres de l'état central fluctuant. Dès lors, les composantes de son espace corporel, sécrétions hormonales et activités, ne comptent pas davantage que les objets de son espace extracorporel, papa, maman et milieu social compris. »

Et après avoir étudié le règne animal qui regorge de comportements sexuels hétérotypiques (oh ! nature perverse ! depuis les lionnes lascives jusqu'aux indolentes vaches, tribades de nos prairies !), après avoir soigneusement distingué une orientation sexuelle atypique (le choix d'un partenaire du même sexe) d'un trouble de la différenciation sexuelle (dimorphisme sexuel et comportements particuliers), après avoir rappelé la pertinence de la notion d'identité de genre, après avoir répété qu'il est totalement illusoire de rechercher dans les gonades de fœtus ou dans ses glandes surrénales la source exclusive de l'homosexualité… l'éminent expert conclut qu'il ne peut parler de l'homosexualité que comme d'une planète inconnue (sic) et que « les variétés d'homosexualité semblent d'ailleurs aussi nombreuses que les étoiles de la Voie lactée » ! Sans doute aussi impénétrables que les voies du Seigneur.

J'aime cette humilité du savant et son empirisme conciliant. Il y a des homos, des hétéros, des bi, des trans ? Il y a des Noirs, des Jaunes, des Blancs ? Il y a des droitiers, des gauchers, des rouquins, des albinos ? Où est le problème ? C'est bien ? C'est mal ? « C'est ». En tant que « pratiquant de l'homosexualité » pour avoir assumé sur le tard mon identité profonde, après avoir vécu 19 années avec la mère de mes enfants et 10 ans avec « l'homme du reste de ma vie », je peux simplement dire ceci : 1/ J'ai trouvé qu'il y avait autant sinon plus d'altérité avec un partenaire amoureux pourvu des mêmes organes car l'amour ne se joue pas dans les génitoires mais dans le dialogue et la tendresse ! 2/ J'ai enfin découvert sur le tard le bien-être, sinon le bonheur, car cet achèvement gratifiant est passé, comme disait Dolto, par l'estime de mon identité sexuée. 3/ J'ai conclu que les religions en général et le catholicisme en particulier, même s'il s'autoproclame « expert en humanité » (pas en humilité !) n'a rien à dire sur le sujet, strictement rien, rien de valable ni de fiable, ni expertise humaine ni révélation de droit divin. 4/ J'ai souvent alerté dans mes écrits (singulièrement dans mon dernier ouvrage Impotens deus) qu'une religion qui diabolise désir et plaisir, qui cadenasse la sexualité de ses cadres au nom d'une discipline historiquement dépassée et d'une anthropologie contingente… est une institution névrogène et hypocrite qui génère ses propres débordements (homophobie, autoritarisme moralisateur…) et ses propres errances (crimes pédophiliques, licence de mœurs au Vatican etc.) 5/ J'ai découvert que bon nombre de censeurs et de sermonneurs, Anatrella et compagnie, sont souvent des victimes d'homophobie intériorisée qui, écrasées par un surmoi dévastateur, deviennent pour se dédouaner les bourreaux des autres.

Dans son livre Contre Dieu (Phébus, 1997) qui éclipse par sa sagacité et son humour la récente charge de Michel Onfray, Alain Tête a bien analysé la logique manichéenne de la morale chrétienne : « L'amour profane et l'amour sacré, Eros et Agapè, sont incompatibles parce que l'un est faux et l'autre vrai. Dans l'un, le corps jouit. Dans l'autre, l'âme parle. (…) L'amour sacré est l'amour castré d'un humain qui ne l'est pas assez (castré) : un humain trop humain en quelque sorte. (…) Que le christianisme soit hanté par le déni du phallus et que ce déni prenne la forme de l'amour mystique, en sacralise la vérité, en fasse pour l'homme un devoir, resterait inintelligible si Dieu bandait. Mais nous savons que le dieu chrétien ne bande pas. Il aime. Dieu incarné mais dieu vierge, né d'une vierge, Jésus est le déni du corps sexué et le christianisme sa hantise perpétuée. On leur doit une forme d'érotisme qu'ignoraient Athènes et Rome, celui du conflit d'Eros et d'Agapè, qui donna à la volupté un piment, une odeur, un râle que l'humanité avait jusqu'alors ignorés. En inventant un amour pur, le christianisme a brisé pour longtemps l'unité humaine puisque l'aimé a une âme avant d'avoir un corps. De là ce trouble spécifique que le christianisme a introduit dans le langage du sexe. Ne relevant plus de la fascination antique (regard d'effroi devant le « fascinus », pénis tumescent), l'amour profane est désormais une profanation. » En moins de mots, Nietzsche disait en mieux la même chose: « Le christianisme a donné du poison à boire à Eros ; il n'en est pas mort, mais il a dégénéré en vice. »

L'air du temps est décidément au sursaut moral, à l'intoxication fondamentaliste, à l'intransigeance pontificale, aux alliances les plus douteuses. Raison de plus pour résister et ne pas nous amender. Ayant quant à moi goûté successivement à ces deux liqueurs (la première ô combien amère !) – le déni du corps consacré et la rédemption par l'amour (homo)sexué – ma religion est faite depuis longtemps et mon ivresse assumée : pecca fortiter !