Madame de Clèves passa tout le jour des fiançailles chez elle à se parer, pour se trouver le soir au bal et au festin royal qui se faisaient au Louvre. Lorsqu'elle arriva, l'on admira sa beauté et sa parure ; le bal commença, et comme elle dansait avec monsieur de Guise, il se fit un assez grand bruit vers la porte de la salle, comme de quelqu'un qui entrait, et à qui on faisait place. Madame de Clèves acheva de danser et pendant qu'elle cherchait des yeux quelqu'un qu'elle avait dessein de prendre, le roi lui cria de prendre celui qui arrivait. Elle se tourna, et vit un homme qu'elle crut d'abord ne pouvoir être que monsieur de Nemours, qui passait par-dessus quelques sièges pour arriver où l'on dansait. Ce prince était fait d'une sorte, qu'il était difficile de n'être pas surprise de le voir quand on ne l'avait jamais vu, surtout ce soir-là, où le soin qu'il avait pris de se parer augmentait encore l'air brillant qui était dans sa personne ; mais il était difficile aussi de voir madame de Clèves pour la première fois, sans avoir un grand étonnement.

Monsieur de Nemours fut tellement surpris de sa beauté, que, lorsqu'il fut proche d'elle, et qu'elle lui fit la révérence, il ne put s'empêcher de donner des marques de son admiration. Quand ils commencèrent à danser, il s'éleva dans la salle un murmure de louanges. Le roi et les reines se souvinrent qu'ils ne s'étaient jamais vus, et trouvèrent quelque chose de singulier de les voir danser ensemble sans se connaître. Ils les appelèrent quand ils eurent fini, sans leur donner le loisir de parler à personne, et leur demandèrent s'ils n'avaient pas bien envie de savoir qui ils étaient, et s'ils ne s'en doutaient point.

-- Pour moi, Madame, dit monsieur de Nemours, je n'ai pas d'incertitude ; mais comme madame de Clèves n'a pas les mêmes raisons pour deviner qui je suis que celles que j'ai pour la reconnaître, je voudrais bien que Votre Majesté eût la bonté de lui apprendre mon nom.

-- Je crois, dit madame la dauphine, qu'elle le sait aussi bien que vous savez le sien.

-- Je vous assure, Madame, reprit madame de Clèves, qui paraissait un peu embarrassée, que je ne devine pas si bien que vous pensez.

-- Vous devinez fort bien, répondit madame la dauphine ; et il y a même quelque chose d'obligeant pour monsieur de Nemours, à ne vouloir pas avouer que vous le connaissez sans l'avoir jamais vu.

La reine les interrompit pour faire continuer le bal ; monsieur de Nemours prit la reine dauphine. Cette princesse était d'une parfaite beauté, et avait paru telle aux yeux de monsieur de Nemours, avant qu'il allât en Flandre ; mais de tout le soir, il ne put admirer que madame de Clèves.

Le chevalier de Guise, qui l'adorait toujours, était à ses pieds, et ce qui se venait de passer lui avait donné une douleur sensible. Il prit comme un présage, que la fortune destinait monsieur de Nemours à être amoureux de madame de Clèves ; et soit qu'en effet il eût paru quelque trouble sur son visage, ou que la jalousie fit voir au chevalier de Guise au-delà de la vérité, il crut qu'elle avait été touchée de la vue de ce prince, et il ne put s'empêcher de lui dire que monsieur de Nemours était bien heureux de commencer à être connu d'elle, par une aventure qui avait quelque chose de galant et d'extraordinaire.

Madame de Clèves revint chez elle, l'esprit si rempli de tout ce qui s'était passé au bal, que, quoiqu'il fût fort tard, elle alla dans la chambre de sa mère pour lui en rendre compte ; et elle lui loua monsieur de Nemours avec un certain air qui donna à madame de Chartres la même pensée qu'avait eue le chevalier de Guise.

La Princesse de Clèves est un roman publié anonymement par Marie-Madeleine de La Fayette en 1678. Cette œuvre est considérée comme le premier roman moderne de la littérature française.


Sarko a d'ailleurs remis ça en ajoutant, sur le mode plaisant : « La Princesse de Clèves ? J'ai rien contre !... mais j'ai beaucoup souffert sur elle ! « (hi ! hi ! fait l'auditoire imbécile)."Sur elle", quelle bonne blague ! Eh bien non, Monsieur le Président, pas "sur elle", car justement, la princesse de Clèves est une femme imprenable. Vous pouvez être "sur" les médias, "sur" le Parlement, "sur" les grandes entreprises, mais sur elle, non, vous ne pouvez pas.

En revanche, vous pouvez relire le roman. Après tout, vous allez peut-être le redécouvrir. Passions, jalousies, tourments : il y a des similitudes entre la cour du roi Henri II et la vôtre. Cela ne vous demandera pas un gros effort : deux petites heures durant votre prochain voyage jusqu'à la Guadeloupe, pardon jusqu'à Bagdad. Le livre est même en ligne dans sa version intégrale sur Inlibroveritas.net. Alors n'hésitez pas et n'oubliez pas : primo, la culture, moins on en a, plus on l'étale. Secundo, les grosses têtes sont stupides et dangereuses quand elles sont portées par de petits hommes.Hi ! hi !