COMPLAINTE DE LA LUNE
Par Michel Bellin le mercredi 11 février 2009, 06:50 - Lien permanent
Hier soir, dans le ciel de Paris, vers 21 heures, la lune était si grosse, si ronde, si omniprésente que je ne parvenais pas à détacher mes regards tandis que je traversais le pont de St Cloud. Dans sa face blême, je croyais apercevoir, presque distinctement, un œil borgne et une immense bouche d'ombre. Je fus fasciné par cette présence à la fois paisible et incongrue. Stérile la lune ? Morne et sans relief la face de Séléné ? Je me disais : plus j'avance, plus je vais percevoir au bout du pont d'autres détails de son intimité. Quelle impatience ! Quelle illusion ! Quel grand gosse je suis ! J'avais oublié les distances sidérales – 384.402 kilomètres – et la différence abyssale : l'astre tout en haut, et moi, le ridicule homoncule trottinant vers sa chambrette. N'empêche, ce 10 février 2009, le strip-tease de la lune dans le ciel de Paris, ce fut quelque chose ! En plus, c'était à l'œil ! À peine arrivé chez moi, malgré ma lassitude, je bondis sur le recueil de Jules Laforgue : mon cher poète sait bien mieux que moi parler à la lune et c'est ensemble, à mi-voix et dans un grand recueillement, que nous avons récité les “litanies des derniers quartiers” : elle est l'Hostie et son silence notre ciboire !
Litanies des derniers quartiers de Lune
Eucharistie
De l'Arcadie,
Qui fais de l'œil
Aux cœurs en deuil,
Ciel des idylles
Qu'on veut stériles,
Fonts baptismaux
Des blancs pierrots.
Dernier ciboire
De notre Histoire,
Vortex-nombril
Du Tout-Nihil,
Miroir et bible
Des impassibles,
Hôtel garni
De l'infini,
Sphinx et Joconde
Des défunts mondes,
Ô Chanaan
Du bon néant,
Néant, la Mecque
Des bibliothèques,
Léthé, Lotos,
Exaudi nos !
Jules Laforgue, L'imitation de Notre-Dame la lune, Œuvres complètes, Mercure de France, MCMLI.