LA SOLITUDE
Par Michel Bellin le mardi 27 janvier 2009, 08:42 - Lien permanent
Il me dit aimer la solitude. Je le crois et je l'envie. Pour moi, elle me coûte, même si j'apprécie le silence et la méditation, de préférence à doses homéopathiques ! L'isolement n'est pas loin de la solitude. L'esseulement… et cette question qui me turlupine (d'ours) depuis quelques jours sans que je trouve la moindre issue, le moindre commencement de réponse. C'est à propos de l'amour, nous y voilà. Etant entendu une fois pour toutes, cher Ami, que je ne vise pas la fusion mais l'harmonie.Retour à ma question : quand on dit "je t'aime", est-ce qu'on veut faire le bien de l'autre ou bien est-ce qu'on vise plus ou moins inconsciemment le bien-être (affectif et sexuel) qu'il nous procure... qu'il nous procurait et qui est aujourd'hui perdu. Retour alors au narcissisme : j'aime en lui ce qui me comble, moi. Cette analyse m'apparaît la moins romanesque mais la plus lucide. Et peut-on – doit-on ? – guérir de soi-même ? En guérir grâce à la solitude ou contre elle ? Cette solitude lancinante qui peut se muer en cet altruisme gluant qui faisait fuir Baudelaire, un authentique solitaire, affolé par « tous ces affolés qui cherchent le bonheur dans le mouvement et dans une prostitution que je pourrais appeler fraternitaire, si je voulais parler la belle langue de mon siècle. »
Baudelaire parle aussi de « hideux trouble-fête ». Et si l'amoureux esseulé – ou dépité (voir mon blog du 13 janvier dernier) était pour l'Autre un fâcheux trouble-fête ?
Baudelaire parle aussi de « hideux trouble-fête ». Et si l'amoureux esseulé – ou dépité (voir mon blog du 13 janvier dernier) était pour l'Autre un fâcheux trouble-fête ?
XXIII
La solitude
Un gazetier philanthrope me dit que la solitude est mauvaise pour l'homme et à l'appui de sa thèse, il cite, comme tous les incrédules, des paroles des Pères de l'Eglise.
Je sais que le Démon fréquente volontiers les lieux arides, et que l'Esprit de meurtre et de lubricité s'enflamme merveilleusement dans les solitudes. Mais il serait possible que cette solitude ne fût dangereuse que pour l'âme oisive et divagante qui la peuple de ses passions et de ses chimères.
Il est certain qu'un bavard, dont le suprême plaisir consiste à parler du haut d'une chaire ou d'une tribune, risquerait fort de devenir fou furieux dans l'île de Robinson. Je n'exige pas de mon gazetier les courageuses vertus de Crusoé, mais je demande qu'il ne décrète pas d'accusation les amoureux de la solitude et du mystère.
Il y a dans nos races jacassières, des individus qui accepteraient avec moins de répugnance le supplice suprême, s'il leur était permis de faire du haut de l'échafaud une copieuse harangue, sans craindre que les tambours de Santerre ne leur coupassent intempestivement la parole.
Je ne les plains pas, parce que je devine que leurs effusions oratoires leur procurent des voluptés égales à celles que d'autres tirent du silence et du recueillement ; mais je les méprise.
Je désire surtout que mon maudit gazetier me laisse m'amuser à ma guise. " Vous n'éprouvez donc jamais, - me dit-il, avec un ton de nez très apostolique, - le besoin de partager vos jouissances"? Voyez-vous le subtil envieux! Il sait que je dédaigne les siennes, et il vient s'insinuer dans les miennes, le hideux trouble-fête !
"Ce grand malheur de ne pouvoir être seul !..." dit quelque part La Bruyère, comme pour faire honte à tous ceux qui courent s'oublier dans la foule, craignant sans doute de ne pouvoir se supporter eux-mêmes.
" Presque tous nos malheurs nous viennent de n'avoir pas su rester dans notre chambre ", dit un autre sage, Pascal, je crois, rappelant ainsi dans la cellule du recueillement tous ces affolés qui cherchent le bonheur dans le mouvement et dans une prostitution que je pourrais appeler fraternitaire, si je voulais parler la belle langue de mon siècle.
Baudelaire, Le spleen de Paris, Gallimard, La Pléiade, 1961.