OVIDE

Sénèque disait d'Ovide qu'il était poetarum ingeniosissimus, le plus génial des poètes. Talent précoce – il récitait en public ses premières œuvres à l'âge de dix-huit ans – Ovide fut l'ami des plus grands et le poète des salons romains. Son mariage avec Fabia, une proche cousine d'Auguste, lui ouvrit les portes de la haute société mais aussi des intrigues du pouvoir. C'est dans cette caste intrigante et cultivée qu'il connut l'apothéose et l'exil.

Poète de l'amour, Ovide nous donne une sociologie de la vie intime dans la Rome d'Auguste. Ses premières œuvres contiennent déjà une psychologie des échanges amoureux (les Héroïdes) et une analyse esthétique de l'érotisme (les Amours). L'Art d'aimer, qui sera publié en l'an 1 avant Jésus-Christ – Ovide a alors 43 ans – est un poème didactique à l'usage des séducteurs, mais aussi des séductrices, ce qui lui sera reproché car en mentionnant nommément les femmes mariées, on l'accusera d'inciter à l'adultère. Il s'en défendra par la suite en précisant que l'amour dont il parle n'est qu'un amour licite et que les femmes qu'il décrit ne sont pas les femmes mariées. Avec ce long poème d'une grande valeur littéraire, et qui eut un rapide succès, Ovide jette un pavé dans la mare : l'amour doit-il être enseigné ? Eternelle question des médecins de l'amour qui savent la fragilité de la construction amoureuse. Ovide en expose les manœuvres, les techniques, dénonce les ruses de la séduction et propose des antidotes au mal d'amour dans un second poème publié deux ans plus tard : les Remèdes à l'amour.

La grande liberté de ton de l'Art d'aimer sera le principal grief d'Auguste qui le condamne à l'exil en l'an 9 et fait interdire le livre des bibliothèques publiques cinq ans plus tard. Le grand poète des salons romains mourra dans son exil des rives de la mer Noire, sans que la sentence de l'empereur s'infléchisse.

J'ai voulu Ovide dans les médecins de l'amour car il se dit à la fois poète et médecin et suit une démarche d'esprit très proche de nos vues contemporaines : l'amour est une passion du corps et de l'esprit qui se vit et s'enseigne, qui guérit et qui rend malade au point qu'il faut aussi des remèdes à l'amour.

Extrait des livres I et II :

« S'il est quelqu'un parmi nous à qui l'art d'aimer est inconnu, qu'il lise ce poème et, encouragé par sa lecture, qu'il en suive l'enseignement. C'est l'art qui guide la rame et la voile et qui permet aux vaisseaux de voguer rapidement, c'est l'art qui aide les chars à courir légèrement : l'art doit ainsi gouverner l'Amour…

Avant toutes choses, occupe-toi de trouver l'objet de ton amour, tu es un soldat qui affronte pour la première fois un combat nouveau pour toi. Consacre alors tous tes efforts à émouvoir la jeune fille qui t'a plu et attache-toi à faire durer ton Amour.
(Livre I)

Crois-moi, il ne faut pas atteindre trop vite le paroxysme de l'amour, mais y parvenir insensiblement après des pauses et des temps qui les diffèrent. Quand tu auras trouvé les points sensibles dont la femme aime les caresses, la pudeur ne doit pas t'empêcher de les solliciter. Tu verras alors ses yeux briller d'un éclat semblable aux rayons du soleil que reflète une eau transparente. Puis viendront des plaintes, un tendre murmure, de doux gémissements et, enfin, les paroles qui conviennent à l'amour. Mais ne prends pas le risque, en déployant plus ou moins d'énergie qu'elle, de la laisser en arrière, ou de lui permettre de te devancer. Atteignez le but en même temps. C'est le comble de la volupté lorsque, vaincus tous deux, femme et homme demeurent étendus sans force. (Livre II)

Dans « Les remèdes à l'amour », l'auteur fait preuve d'une grande finesse psychologique :

« Ecoutez mes conseils, jeunes gens qui avez été trompés, vous qui n'avez trouvé que déceptions en amour. Celui qui vous a appris à aimer va vous apprendre à en guérir. La même main vous tendra la blessure et le remède. La terre produit à la fois des herbes bénéfiques et des herbes nocives, et l'ortie pousse souvent près de la rose… Le but que je me donne ici est d'éteindre la flamme qui vous fait souffrir et de libérer votre cœur d'un esclavage dont il est dépendant…

Pour commencer, je t'implore Phébus, toi dont la couronne de laurier m'inspire, toi l'inventeur de la poésie et des pouvoirs de la médecine. Ô dieu, inspire autant le poète que le médecin, ces deux arts qui sont placés sous ton aile protectrice.

De quelle nature est ton objet d'amour ? Regarde-le bien attentivement : si c'est une chaîne destinée à t'asservir, dégage-la de ton cou. Résiste dès que possible car le remède vient toujours trop tard, quand le mal s'est installé depuis longtemps. Fais donc vite, ne laisse pas le temps passer. Celui qui ne peut aujourd'hui, pourra moins encore demain. L'amour a toujours de bonnes raisons, il se joue de notre retard à décider.

Certains protesteront et diront que mes conseils sont très durs. Ils sont durs et je le reconnais, mais pour guérir de ton mal tu devras accepter beaucoup de contraintes. Etant malade, j'ai souvent bu, sans envie, des potions amères et les aliments que je désirais m'étaient interdits. Pour libérer ton corps de la maladie, tu souffrirais le martyr, et si tu étais assoiffé tu accepterais de ne rien boire. Mais pour soulager ton esprit, refuserais-tu de rien supporter ? Cet autre toi-même est pourtant plus précieux que ton propre corps…
»


OVIDIUS Ars Amatoria et l'Art d'aimer, Paris, Les Belles Lettres, 1929.
OVIDIUS Remedia Amoris et Les remèdes à l'amour, Paris, Les Belles Lettres, 1930.

Philippe BRENOT, Les Médecins de l'amour, Zulma, octobre 1998.