L'ENNEMI
Par Michel Bellin le mardi 2 décembre 2008, 08:54 - Lien permanent
Le Temps, bien sûr, qui bouffe nos vies et dissout nos amours. Le temps qui creuse nos rides et racornit notre cœur. Le temps morne et languissant de notre train train quotidien… avant qu'il ne déraille ! Cet obscur et implacable ennemi qui « du sang que nous perdons croît et se fortifie. »
Tout le reste n'est que littérature et pieuse consolation.
Tout le reste n'est que littérature et pieuse consolation.
Ma jeunesse ne fut qu'un ténébreux orage,
Traversé çà et là par de brillants soleils;
Le tonnerre et la pluie ont fait un tel ravage,
Qu'il reste en mon jardin bien peu de fruits vermeils.
Voilà que j'ai touché l'automne des idées,
Et qu'il faut employer la pelle et les râteaux
Pour rassembler à neuf les terres inondées,
Où l'eau creuse des trous grands comme des tombeaux.
Et qui sait si les fleurs nouvelles que je rêve
Trouveront dans ce sol lavé comme une grève
Le mystique aliment qui ferait leur vigueur?
Ô douleur! ô douleur! le Temps mange la vie,
Et l'obscur Ennemi qui nous ronge le cœur
Du sang que nous perdons croît et se fortifie!
Charles Baudelaire, Les fleurs du mal, Les éditions G. Grès et Cie, 1925.