TOUS BOURREAUX
Par Michel Bellin le samedi 8 novembre 2008, 01:54 - Lien permanent
Je m'éveille très tôt ce matin avec le poignant 16ème quatuor de Beethoven – son dernier – et avec ce sentiment qui me coince le cœur dans un étau : incommunicabilité. Frontière infranchissable. Chacun est enfermé dans son mystère, dans son silence, dans son absence. Parvient-il du moins à être au clair avec lui-même ? C'est si rare, si fugace, si fragmenté. Bulle égotique. Quasi impossibilité en tout cas de partager, fût-ce durant quelques menus instants, ce qui traverse l'autre, son émotion, sa vibration intime, son tourment, son bonheur, son interrogation du moment, sa parcelle d'humanité. Si l'Ami avait été là ce matin, à mes côtés, peut-être que, comme à l'accoutumée, nous aurions étreint nos mains pour écouter dans la pénombre complice. Mais cela aurait-il suffit ? Qu'aurais-je su de lui ? Davantage su ? Qu'aurait-il compris de moi ? Qu'aurait ajouté cet instant de fugace communion à notre « nous » improbable… juste ces quelques notes de musique… deux épidermes en contact… deux gisants en sursis… pétrification du Temps faite d'un bonheur sublime et d'un incommensurable désespoir. De toute façon, il est parti…
Et le problème reste non résolu, complexe, obsédant : incommunicabilité. Nous ne sommes qu'une collection de bipèdes juxtaposés, indifférents, autistiques. Chacun est opaque, quelque part mythomane et plus ou moins faussaire. Chacun en définitive, quels que soient ses vertueuses protestations et ses élans altruistes, n'est préoccupé que d'une seule chose : sauver sa peau alors que la durée d'ores et déjà nous condamne au pire. Malhabiles à (sur)vivre et dévorés de rêves, tous des prématurés condamnés à mourir. Et nos amours avec…
Ne reste plus alors qu'à s'en consoler avec le Streichquartet opus 135. Lento assai e cantante tranquillo…
Et le problème reste non résolu, complexe, obsédant : incommunicabilité. Nous ne sommes qu'une collection de bipèdes juxtaposés, indifférents, autistiques. Chacun est opaque, quelque part mythomane et plus ou moins faussaire. Chacun en définitive, quels que soient ses vertueuses protestations et ses élans altruistes, n'est préoccupé que d'une seule chose : sauver sa peau alors que la durée d'ores et déjà nous condamne au pire. Malhabiles à (sur)vivre et dévorés de rêves, tous des prématurés condamnés à mourir. Et nos amours avec…
Ne reste plus alors qu'à s'en consoler avec le Streichquartet opus 135. Lento assai e cantante tranquillo…
Inès:
Je vois. (Un temps.) Pour qui jouez-vous la comédie? Nous sommes entre nous.
Estelle, avec insolence
Entre nous ?
Inès:
Entre assassins. Nous sommes en enfer, ma petite, il n'y a jamais d'erreur et on ne damne jamais les gens pour rien.
Estelle:
Taisez-vous.
Inès:
En enfer ! Damnés ! Damnés !
Estelle:
Taisez-vous. Voulez-vous vous taire ? Je vous défends d'employer des mots grossiers.
Inès:
Damnée, la petite sainte. Damné, le héros sans reproche. Nous avons eu notre heure de plaisir, n'est-ce pas ? Il y a des gens qui ont souffert pour nous jusqu'à la mort et cela nous amusait beaucoup. À présent, il faut payer.
Garcin, la main levée
Est-ce que vous vous tairez ?
Inès, le regard sans peur, mais avec une immense surprise
Ha ! (Un temps.) Attendez ! J'ai compris, je sais pourquoi ils nous ont mis ensemble.
Garcin
Prenez garde à ce que vous allez dire.
Inès
Vous allez voir comme c'est bête. Bête comme chou! Il n'y a pas de torture physique n'est-ce pas ? Et cependant, nous sommes en enfer. Et personne ne doit venir. Personne. Nous resterons jusqu'au bout seuls ensemble. C'est bien ça ? En somme, il y a quelqu'un qui manque ici : c'est le bourreau.
Garcin, à mi-voix
Je le sais bien.
Inès
Eh bien, ils ont réalisé une économie de personnel. Voilà tout. Ce sont les clients qui font le service eux-mêmes, comme dans les restaurants coopératifs.
Estelle
Qu'est-ce que vous voulez dire ?
Inès
Le bourreau, c'est chacun de nous pour les deux autres.
Jean-Paul Sartre, Huis-clos, scène 5 (extrait).
Résumé de la pièce
Estelle prétend être morte d'une pneumonie et ignore la raison de sa présence en enfer. Elle s'interroge par ailleurs quant à la raison pour laquelle les trois personnages ont été réunis. Si Garcin pense à cet égard qu'il n'y a d'autre explication que le hasard, Inès déclare que chacun deviendra, par la suite, un bourreau pour les autres et les forcera à avouer les crimes qu'ils ont commis. Garcin, ne pouvant admettre une telle hypothèse, préfère s'isoler en espérant ainsi que chacun pourra épargner les autres, mais en vain. En effet, il entend, bien qu'il se bouche les oreilles, une discussion entre les deux femmes. Il décide alors de se dévoiler et il explique qu'il a torturé sa femme, mais ne parle pas de sa désertion. Ensuite c'est Inès qui explique qu'elle est lesbienne et elle se définit elle-même comme méchante car elle a besoin de la souffrance des autres. En fin de compte Estelle avoue à contrecœur qu'elle avait un amant avec qui elle a eu un enfant et qu'elle a tué l'enfant et laissé se suicider son amant afin de ne pas faire éclater de scandale. Estelle cherche du réconfort dans les bras de Garcin, mais ce dernier veut de la confiance. Le couple n'existera jamais à cause d'Inès qui n'arrête pas de les juger. Estelle essayera d'assassiner Inès mais ils sont déjà morts. Ils seront ensemble huis clos pour l'éternité à se disputer.
Quatuor à cordes n° 16 de Beethoven
Le quatuor à cordes n° 16 en fa majeur, op. 135, de Ludwig van Beethoven, fut composé rapidement de juin à septembre 1826 et publié en septembre 1827 avec une dédicace à Johann Wolfmeier, un commerçant mécène. Il est le dernier des quatuors de Beethoven. Le compositeur l'intitula « Der schwergefasste Entschluss » (la résolution difficilement prise).
Composé après le grand Quatorzième, le Seizième Quatuor ne fut jamais joué du vivant de son compositeur. Il fut créé comme tous les autres quatuors de la dernière période par la formation de Schuppanzigh. Sa composition fut contemporaine de problèmes familiaux (tentative de suicide de son neveu Karl, dont il avait la charge), pécuniaires et de santé, mais il reste empreint de simplicité et d'optimisme. Si on excepte le finale de substitution que Beethoven composa pour son Treizième Quatuor à l'automne 1826, le Seizième Quatuor est sa dernière œuvre.
Des derniers quatuors il est le plus court et le plus classique. Le troisième mouvement porte le titre « Süsser Ruhegesang, Friedensgesang » (doux chant de repos, de paix). Son thème n'est pas sans rappeler celui de la scène au bord du ruisseau de la Symphonie pastorale. Le dernier mouvement porte une inscription de la main du compositeur : « Muß es sein? Es muß sein! » (« Le faut-il ? Il le faut ! »). Il s'agit probablement d'une référence à une conversation entre deux amis surpris par le musicien, qui s'est amusé de l'opposition et qui en fait une traduction musicale, même si on peut y voir des connotations plus métaphysiques.
L'écrivain tchèque Milan Kundera étudie et illustre ce "Es muß sein!" dans son roman intitulé « L'insoutenable légèreté de l'être ». Il en fait le symbole de la nécessité, de ce qui pèse, qui a de la valeur, par opposition à la légèreté, elle frivole. En cela, on peut dire que l'œuvre de Beethoven a acquis, par sa postérité, une dimension philosophique.
Le quatuor comporte quatre mouvements :
• Allegretto
• Vivace
• Lento assai, e cantabile e tranquillo
• Grave ma non troppo tratto – Allegro
La version qui a ma préférence est celle du MELOS QUARTETT (Les derniers quatuors) chez Deutsche Grammophon.