LE POÈTE ET LA MUSE

(texte destiné à la scène)

On découvre en place un homme assis à une grande table en bois ancienne, c'est un poète, il en a l'allure, des cheveux longs et grisonnants tiré en arrière. L'éclairage est faible, très intimiste ; on ne voit sur la table qu'une lampe, une feuille blanche et un stylo. Il est en panne d'inspiration … Il se lève, fait mine de penser, prend des poses, se rassied, se relève aussitôt, etc.

Le poète : " Arrgh! … Putain! L'angoisse! … Pas l'ombre d'un commencement d'embryon d'idée! … Le vide! Le vide absolu … Une tête remplie de rien … Un QI de poireau, la nervosité d'une huître, l'épaisseur d'un courant d'air … Tu parles d'un poète! … Vous allez me trouver nul! Nul à chier! … Remarque, c'est vachement humain, on peut pas être au top tout le temps … Moi! Victime du syndrome de la page blanche! C'est trop cruel, trop injuste, un mec de mon talent ne mérite pas ça … N'empêche que j'suis comme un con là … Et puis arrêtez de me regarder comme ça! Ça me fout trop la pression … Remarque, faut dire que j'suis pas en condition … Faudrait que je sois dans un contexte plus romantique … faudrait que je sois au bord d'une falaise escarpée, mes longs cheveux au vent, à contempler la mer déchaînée, le visage fouetté par les embruns et les herbes hautes … Et que je sois hyper triste, la mélancolie, c'est essentiel pour un poète … Quoi? … Ouais … C'est convenu, je dirais même atrocement banal … Mais quoi? … Au lieu de ça, j'suis au bord d'une scène et c'est vous qui me donnez le spectacle de vos têtes consternées du drame que je suis entrain de vivre … Et en plus il n'y a pas de vent … pardonnez-moi, mais c'est terriblement moins romantique! … Surréaliste même! … Je ne peux pas rester à tourner en rond comme ça indéfiniment à ressasser! En public en plus ! L'échec, c'est un truc privé, personnel! Personne n'a besoin de savoir … Sans parler de l'effet négatif sur mon image … C'est à se demander ce que je fous ici …" En désignant la feuille blanche : " Et regardez-moi cette conne là! La feuille blanche! Comment elle me nargue! Là, posée, irrémédiablement silencieuse, d'une blancheur immaculée … L'indifférence c'est ce qu'il y a de pire … A croire que les muses me font la gueule!"

Une très jolie fille rentre sur scène, très sexy avec une grosse poitrine, d'apparence très "nunuche" avec une voix assez haute de très jeune fille.

La muse : " Je suis là moi! Et je te fais pas la gueule"
Le poète : " Manquait plus que toi! Là, c'est la totale! Tu parles d'une Muse! Tu ne vas pas t'y mettre toi aussi!"
La muse : " Tu pourrais être gentil quand même, pas ma faute à moi si t'as du jus de chaussette dans le cerveau…"
Le poète : " Du jus de chaussette! Tu pourrais compatir, ne serait-ce qu'un peu, à ma souffrance d'artiste! Merde!"
La muse : " Tu veux que je t'apporte des poireaux?"
Le poète : " Des poireaux! ? Mais pourquoi faire?"
La muse : " J'sais pas moi … Comme ça tu pourrais discuter avec tes copains "
Le poète : " Putain! Alors là, on nage en plein délire! Moi! Me faire traiter de légume!"
La muse : " C'était pour rendre service … T'as bien dit toute à l'heure que t'avais un QI de poireau, eux, au moins, ils pourraient te comprendre …"
Le poète : " Dis donc, la Muse! Tu sais à quoi t'es supposé me servir au moins? "
La muse : " Ben … euh … Une muse, euh … c'est fait pour s'amuser, non? Je suis une sorte de jouet quoi!"
Le poète : " Ah! Mais quelle tâche celle là! Une muse, pour un poète, ça sert à l'ins-pi-rer! A avoir de l'ins-pi-ra-tion! Tu piges? "
La muse : " Ouais ben … n'empêche qu'avec moi tu t'amuses bien hein, et pas qu'un peu! "
Le poète : " Mais ça n'a rien à voir! Je suis un poète moi! J'écris des poèmes! Et j'ai besoin d'être ins-pi-ré! Pas de faire mu-muse ! Oh! Le boulet celle-là !"
La muse : " Ben c'est la meilleure celle là! J'inspire très bien moi ! Même que j'expire aussi ! Avec les poumons que j'ai, tu penses!"
Le poète : " Ouais ben … si t'expirais, ça me rendrait service! "
La muse : " C'est bien ce que je dis! Où est le problème? Peut-être qu'y veut que je l'aspire? "
Le poète : " Ah! Non! Mais vraiment, arrêtes! Tu m'uses"
La muse : " Ouais ben … en général, y dit pas non! Tu parles d'un poète! Parce que pour faire pouet-pouet, t'es bien content que je sois là! "
Le poète : " Ecoute ! Ça va mal finir! Dégage avant que ça dégénère !"
La muse : " Quoi!? T'as qu'à me cogner tant que t'y es ? Et bien vas-y! … Si ça t'inspire "
Le poète : " Je te dis que tu m'inspires plus rien du tout!"
La muse : " Allez vas-y! Aies au moins les couilles de le faire. Mais fais juste attention à ma robe! "
Le poète : " Sa robe! Elle ne pense qu'à sa robe! Tu sais quoi? T'es bonne qu'à faire mu-muse avec l'aspirateur!"
La muse : " Putain! Faudrait savoir ce qu'il veut celui-là! Il veut que j'aspire ou que j'inspire? Vous y pigez quelque chose vous? "
Le poète : " Ah là! Je suis super équipé! D'un côté une feuille blanche et de l'autre une oie blanche dotée d'un QI de poireau"
La muse : " Tu sais quoi?"
Le poète : " Non! Mais j'imagine que tu vas me le dire"
La muse : " Tu devrais justement écrire sur la feuille blanche"
Le poète : " J'ai déjà écrit là-dessus, tout le monde a écrit là-dessus! Il n'y a pas un auteur qui en a échappé!"
La muse : " Ben moi, tu m'as jamais fait lire"
Le poète : " Première nouvelle! Tu sais lire?"
La muse : " Faudrait voir à pas me prendre pour une buse!"
Le poète : " Muse et buse ça rime dans ton cas"
La muse : " Bon, si tu veux pas que je lise, t'as qu'à lire toi-même, allez! sois gentil"
Le poète : " Depuis quand tu t'intéresses à mon travail?"
La muse : " Depuis que tu t'intéresses à mon cul"
Le poète : " Je ne suis pas sûr que tu puisses apprécier ce texte à sa juste valeur"
La muse : " Si c'est beau, c'est beau et ça touchera mon cœur au plus profond de lui-même. De toutes façons qu'est-ce que tu risques?"
Le poète : " Bon … si tu y tiens …"

Le poète fouille dans les papiers sur sa table et trouve le texte en question. Il se place à l'avant scène. L'éclairage change, l'ambiance devient très intime…

Le poète : " mm, mm … Une feuille blanche de plus, un texte de moi"
La muse : " C'est beau!"
Le poète : : "Ta gueule, j'ai même pas encore commencé!"
La muse : " T'es pas obligé d'être insultant"
Le poète : " mm, mm … Une feuille blanche de plus, un texte de moi"

En un souffle d'air, je l'ai déposée là, devant moi, ondulant doucement à l'approche du bois,
Comme une dernière caresse effleurée.
Elle gît maintenant, résignée,
En un rectangle parfait sur la table de mes écrits.
Je n'ose toucher cette feuille esseulée
fraîchement séparée de ses sœurs
Qui formaient avec elle une si belle ramette.
Je caresse pourtant du bout des doigts sa surface soyeuse, j'arriverais peut-être à l'apprivoiser.
Je l'observe et la dévisage.
Toute mon attention est pour elle,
comme si, perdu dans son regard monochrome,
je cherchais les mots dignes de la recouvrir,
Mais en vain.
Je ferme les yeux,
Je retrouve derrière mes paupières la confusion de mes pensées qu'il me presse de voir enfin couchées sur le papier.
Il suffit de commencer et la chose deviendra aisée.
Je prends la plume, fébrilement,
conscient de tenir entre mes doigts
l'instrument qui marquera à jamais
Le destin de ma blanche immaculée.
La paume de ma main gauche se plaque sur elle,
De peur qu'elle ne s'échappe.
J'approche doucement ma plume
gorgée de cette encre indélébile,
Prête à jaillir au premier contact.
La tension me paralyse,
mes doigts se tendent,
les mots me viennent enfin,
Oui! Enfin!
Oh! Pardon Madame la Blanche,
je vous ai tachée,
Je ne voulais pas vous froisser.

La muse : " Ca, c'est la plus belle métaphore que j'air entendue sur l'éjaculation précoce"
Le poète : " Métaphore! Pas du tout! … Tu connais ce mot-là toi? Et puis rien à voir avec l'éjaculation précoce! Il s'agit du syndrome de la feuille blanche!"
La muse : " Mais si! Parfaitement! Et même, si tu veux, je t'explique, mieux! Je te le démontre"
Le poète : " Je suis curieux d'entendre ça! Vas-y! , Fais nous rire"
La muse : " Alors donc … Tu cries pas, d'accord? … Bon! L'auteur, le poète, donc : toi, donc, qui est à l'évidence encore entrain de vivre les tourments de la pré-adolescence: immaturité, donc, se trouve paralysé à la vue de sa promise, pure, sans défense, timide et silencieuse : la feuille blanche, donc. Les mots lui manquent pour se déclarer, il est tétanisé. Il la touche, la caresse, il est obsédé par elle. Il ne veut pas la décevoir. Pourtant, il l'immobilise maladroitement sur la table! (Le summum du confort pour ce genre d'exercice comme tout le monde sait) alors qu'il est pris d'une monstrueuse érection: son gros stylo, donc. Il se rapproche d'elle, la sève monte inexorablement : les mots lui viennent, donc. Les mots en question, le liquide séminal, donc, symbolise la montée incontrôlée de son désir, en d'autres mots, il veut absolument la sauter comme quoi les hommes pensent toujours avec leur bite, même les soi-disant poètes. Et, sans même avoir le temps de la pénétrer, il la souille. Et, comble de la maladresse masculine, il s'excuse … Mais moi, ce qui me plait le plus, c'est le titre. Nous avons là un dangereux récidiviste parce que une feuille blanche de plus! Ce n'est pas la première, donc … Si ça, c'est pas de l'éjaculation précoce, moi je suis nonne avec le QI d'une huître! Donc!"
Le poète : " Donc?"
La muse : " Donc? Ton poème est un tout petit poème d'un tout petit auteur qui n'est pas encore sorti du stade anal. Donc! Tu devrais faire un peu plus preuve de modestie et arrêter de la ramener"
Le poète : "Mais qui t'es pour me parler comme ça? "
La muse : " Mais moi aussi j'écris! C'est pas pour autant que je m'auto déclare poétesse"
Le poète : "Toi! T'écris! Alors ça! Ça me troue le cul!"
La muse : "Tu vois! Je t'avais bien dit que t'es encore au stade anal"
Le poète : " Et t'écris quoi?"
La muse : " Des poèmes"
Le poète : " Et tu pourrais m'en dire un, là, tout de suite?"
La muse : " oui"
Le poète : " Vas-y, je t'en prie, fais nous rire"
La muse : " Je suis pas sûre que tu aimes"
Le poète : "On ne sait jamais"
La muse : " ça parle de toi"
Le poète : " De moi!?"
La muse : " Oui, on peut dire que tu m'as inspiré … t'es ma muse au masculin en quelque sorte "
Le poète : " C'est le monde à l'envers … Bon … je t'écoute. Je crois que je peux tout entendre maintenant … enfin… presque … Comment ça s'appelle?"
La muse : "Passé le temps des couches"
Le poète : " Ah …"
La muse : "J'y vais?"
Le poète : "Tu vas pas te faire prier non plus!"
La muse : " Bon … Ben … J'y vais"
Le poète : " C'est ça…"
La muse : "

Passé le temps des couches,
Les petits zauteurs,
En devenir de propreté,
Du manque de hauteur,
Montent sur le pot
Avant de pouvoir trôner
Comme les grands
Sur le cabinet

Passé le temps des couches,
Les petits zauteurs
Pas encore très éduqués
De leur bouche en cœur
Zozotent quelques mots
Pipi caca popo
Avant de réciter sans trébucher
Les lettres de l'alphabet

Passé le temps des couches,
Les petits zauteursLoin d'être lettrés
D'un crayon de couleur
Dessinent leurs noms
D'un Z
Qui veut dire Zozo
Avant de se débarrasser
De cette langue échevelée

Passé le temps des couches,
Les petits zauteurs
Seront tout excusés
D'être les zauteurs
De ces pâtés de mots
De Z tartinés
Qui poussent à tirer
La chasse d'eau.

Comment tu trouves? … C'est gentil non? … Oh! Mais fais pas cette tête … La vérité fâche un peu, pas vrai? … … Tu viens? … Je vais t'apprendre à te servir de l'aspirateur …"


Ils sortent, NOIR


PS. Du coup, à la fin de ce texte, une fois mis en ligne, j'ai décidé en ce samedi matin de nettoyer le sol de ma salle de bain vraiment dégueu... Finalement, c'est rudement utile la poésie ! Et quand tout est propre, avec ou sans alexandrins, vraiment l'on se sent bien. Merci ma Muse... Museau ? Musée ? Homme-Muse ? Oui, homme-muse, c'est pas mal ! Merci à mon Homme-Muse au loin qui se reconnaîtra s'il lit ces lignes au bureau (car, dans les Emirats, on bosse le samedi et on se la coule douce le vendredi).