Mardi 13 octobre 1919

La température n'a cessé de chuter : partout on gèle.

Ma résolution de lutter à tout prix pour forcer l'entrée à Navale subit aujourd'hui une rude et triste épreuve. C'en est bien fini de mon lyrisme. Composition de mathématiques : deux redoutables problèmes de Math Elém. Le trou noir. Je n'ai absolument rien compris. Je me suis perdu en pure perte dans les énoncés. Plus je tentais de pénétrer dans leurs arcanes, plus je perdais pied et m'enlisais au point d'en avoir des suées glacées dans l'échine. Quel calvaire ! Ou plutôt, quel naufrage ! Finalement, je n'ai rien pu démontrer et j'ai rendu une copie à peu près vierge…

A la récréation de 4 heures, branle-bas de combat : un fistot ayant traversé le carré soit disant réservé aux X, c'est l'alerte générale. D'où, insultes, provocations, coups de poing puis mêlée générale très confuse entre taupins, flottards et cyrards. La fin fut aussi bête qu'attendue : nous échangeâmes, en même temps que des regards torves, les calots capturés. La tradition était sauve.

Tout s'apaisa, provisoirement, à la chapelle. Au Salut de 5 heures, le Poto y alla de son sermon et ratissa large : il protesta contre certaines coutumes stupides, les carrés, les amendes, puis, lancé sur sa diatribe, vitupéra les flâneries dans les rues, les théâtres immoraux, les mauvaises lectures voire certaines amitiés particulières indignes de ce noble établissement etc. Conclusion : il ne sera sans doute pas plus écouté que les années précédentes.

En étude, pour me calmer après l'échauffourée du goûter, je me suis vaillamment attelé à la lecture de la « Stratégie navale ».


Mardi 14 octobre 1919

Le fait saillant du jour a été le speech de notre nouveau professeur d'Instruction religieuse, nouvellement nommé à St Cyr. En fait, son discours n'avait rien à voir avec le christianisme, ce fut plutôt un cours improvisé sur le thème « Honneur, responsabilité, engagement ». Jésus-Christ lui-même y aurait perdu son araméen puisqu'il ne fut en fait question dans cette introduction que de conjoncture de la France, immobilisme et perte des valeurs, dégradation des élites, marasme économique, etc. L'Etat, expliquait l'expert en froc, ne finance plus la construction navale. Pas un seul nouveau bâtiment depuis la fin de la guerre et une quantité d'officiers de Marine en inactivité, basés au Dépôt de la 5ème section de Toulon ! De là à ce que l'oisiveté devînt la mère de tous les vices, il n'y avait qu'un pas que l'abbé, habile autant qu'érudit, ne franchit heureusement pas. Il n'empêche, il aurait voulu démolir ma vocation de marin qu'il ne s'y serait pas pris autrement. « Avance au large et jette tes filets ! » Telle fut sa conclusion. Ce retour à l'Evangile, me parut quelque peu alambiqué et presque incongru après des propos par trop politiques à mon goût.

Du coup, je me suis promis d'étudier les diverses pistes s'ouvrant à moi, gravissant autour de la mer bien entendu, mais sans transiter forcément par l'Ecole Navale. Et je me suis même pris à songer, plus ou moins consciemment, à la voie du consulat. En tout cas, tout, plutôt que l'expectative indolente. D'ailleurs, ce soir, j'en veux à mon Poète. S'il est doué pour décrire les vieux mariniers, il n'entend rien à la stratégie face au réel. N'a-t-il pas osé écrire, dans ses Maximes, cette phrase que j'avais soulignée l'été dernier, histoire de me rassurer à bon compte : « On va loin quand on ne sait pas où l'on va, et qui ne voit le but le passe » Holà, cher Nodier, vous divaguez !

Mercredi 15 octobre 1919

Il est déjà bien tard, bien trop tard, lorsque j'ouvre mon journal de bord. Pas d'événements significatifs, seule ma perplexité récurrente. Aujourd'hui, mes doutes sur ma vocation n'ont pas cessé de me tourmenter. Au moment de l'épure, exercice que je redoute entre tous, je n'ai pas réussi à terminer mon travail dans les temps, ce qui n'a fait qu'ajouter à mes déboires. De plus, il fait de plus en plus froid et je commence à trouver le temps un peu longuet à Stanislas. Qu'est-ce qui pourrait me passionner ici ? Me faire, sinon palpiter, du moins vivre ? Tout simplement ! Je n'en demande pas davantage. Pas étonnant que je me projette nerveusement dans un avenir improbable. Mais au lieu de me faire rêver ou espérer, cette évanescente projection m'insécurise encore davantage. Je m'y complais dangereusement sous couvert d'y voir plus clair. Ecrire, écrire encore, tenir ce journal envers et contre tout, n'est-ce pas aussi une forme de complaisance ? Mais c'est la seule manière de m'ausculter et peut-être de m'infliger l'antidote. Alors, pas d'esquive, il me faut débrider la plaie.

Oui, je l'avoue noir sur blanc, je passe le plus clair de mon temps à m'inquiéter pour demain, à triturer des alternatives invraisemblables, du genre « Mieux vaut tenir que courir et passer par l'Ecole Navale, quitte ensuite à faire toute autre chose que la Marine de guerre ! » Mais en quoi ce genre de raisonnement fumeux est-il enthousiasmant, car on a bel et bien besoin de foi et d'ardeur pour s'imposer la dure tâche actuelle, n'est-ce pas ? Faute de conviction, à bout d'arguments convaincants, je rebrousse alors chemin, me replie mollement sur une autre voie – la diplomatie, par exemple – tout en sachant pertinemment que ça ne tient pas debout ! Si au moins je pouvais parler de mes projets de futur ambassadeur plénipotentiaire, avouer cette maudite promotion à un tout autre confident qu'un papier d'écolier… Je ne parle pas évidemment des adultes qui d'eux-mêmes s'excluent de ma confiance (surtout Poto et ses obsessions peccamineuses. Si je l'écoutais, pour être plus fort et devenir un jeune Croisé du Christ, il suffirait que je communie trois fois par jour et que je me confesse six !). Non, je parle d'un ami, quelqu'un de mon âge, peut-être quelqu'une pourquoi pas ? très proche, confiant, affectueux et délicat, qui me prêterait une oreille attentive, une main secourable… Nul confident parmi mes condisciples. J'ai même renoncé à en trouver, et même à en chercher. Ils en veulent, ils en bavent, ils s'alignent. « Je ne veux voir qu'une seule tête ! » Je les envie et je les méprise. J'envie ceux qui avancent sans regarder ni à droite ni à gauche, ni devant ni en arrière. Moi, je ne sais pas, je n'ai jamais su. Il m'apparaît que je n'ai pas encore trouvé ma place, ni ici ni nulle part, pas plus à l'Etoile qu'à Paris d'ailleurs. Je suis à peine né, prématuré plutôt, encore fœtus informe malgré ma coquetterie et mes allures dégingandées, en somme malhabile à vivre et dévoré de rêves. Mais à Montclairgeau, mes rêves ensoleillés pouvaient au moins fleurir en toute liberté. Ici, ils suppurent et j'ai honte de cette lèpre secrète. C'est en fait moi-même que je méprise.

Plutôt que d'effacer certains passages honnis de mes chroniques – surtout lorsqu'ils sont par trop démoralisants ou ambigus – j'aime tourner la page. Même quand c'est trop tôt. Tant pis pour le gaspillage ! Tourner la page, au propre, pas au figuré. Les deux en fait, ce sera mieux. Tracer ma vie au propre et rebondir comme sur la planche d'appel ! Dieu merci, je suis doué pour cet exercice, autant le saut en longueur que le sursaut de survie. Car, si bête soit-il, le geste est efficace, la nouveauté engageante, l'élan jouissif : demain ! Demain, c'est jeudi. Minuit moins dix : c'est bientôt jeudi, en fait. Aujourd'hui dans dix minutes. Sauvé ! J'aimerais tant être déjà à ce soir, une belle soirée en perspective. Allez, mon vieux Paul, secoue-toi et au lieu d'écrire des inepties, choisis plutôt la tenue que tu vas arborer demain, ou plutôt tout à l'heure puisque… Oui, pour une fois, du moins je l'espère entre deux bâillements, les dieux me seront propices et le nœud gordien enfin tranché.

Bonne nuit, belle gazelle et méfie-toi du grand fauve blessé : Cupidon a plus d'une flèche dans son carquois !

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