JE T'APPORTE, CE SOIR ?
COMME OFFRANDE, MA JOIE.

Je t'apporte, ce soir, comme offrande ma joie
D'avoir plongé mon corps dans l'or et dans la soie
Du vent joyeux et franc et du soleil superbe ;
Mes pieds sont clairs d'avoir marché parmi les herbes,
Mes mains douces d'avoir touché le cœur des fleurs,
Mes yeux brillants d'avoir soudain senti les pleurs
Naître, sourdre et monter autour de mes prunelles,
Devant la terre en fête et sa force éternelle.

L'espace entre ses bras de bougeante clarté,
Ivre et fervent et sanglotant, m'a emporté,
Et j'ai passé, je ne sais où, très loin, là-bas,
Avec des cris captifs que délivraient mes pas.

Je t'apporte la vie et la beauté des plaines ;
Respire-les sur moi à franche et bonne haleine,
Les origans ont caressé mes doigts, et l'air
Et sa lumière et ses parfums sont dans ma chair.


Emile VERHAEREN
Les Heures d'après-midi

Après des études à Bruxelles, Gand et Louvain, le poète (1855-1916) fréquenta les salons littéraires parisiens et se consacra à son art. Originaire de Saint-Amand, en Belgique, Verhaeren est mort accidentellement en France, en gare de Rouen.