TERRE EN FÊTE
Par Michel Bellin le lundi 1 septembre 2008, 07:56 - Lien permanent
Commençons cette semaine, veux-tu ? par un peu de poésie. Une poésie simple et revigorante, qui a la force de la lumière et des sensations physiques. Je t'apporte, ce soir, comme offrande, ma joie… Sauf que c'est le matin ! Qu'importe, j'avais besoin du secours des mots après que la musique de Ravel m'a tordu le cœur. C'est ma faute aussi. Est-ce bien raisonnable d'écouter de bon matin l'Adagio du concerto en sol sous les doigts de François-René Duchable ? Comment se fait-il que la musique – « de l'air sonore » (selon la définition évidente de Busoni) – oui, comment se fait-il que dix minutes de beauté puissent à ce point ravager le cœur d'une manière si délicieuse ? Lorsque le trille final n'en finit pas de mourir, suspendu au-dessus d'un océan de douceur… je suis resté comme hébété, les joues ruisselantes.
Secouons-nous donc et accueillons la joie, cette joie exubérante qui me faisait gambader enfant, les jambes nues, dans des grands champs de luzerne et de coquelicots. C'était il y a si longtemps… J'ai oublié la sensation et aujourd'hui ce sont les mots d'Emile Verhaeren, qui m'apaisent et me tonifient. Même le premier jour de septembre, c'est encore l'été !
Secouons-nous donc et accueillons la joie, cette joie exubérante qui me faisait gambader enfant, les jambes nues, dans des grands champs de luzerne et de coquelicots. C'était il y a si longtemps… J'ai oublié la sensation et aujourd'hui ce sont les mots d'Emile Verhaeren, qui m'apaisent et me tonifient. Même le premier jour de septembre, c'est encore l'été !
JE T'APPORTE, CE SOIR ?
COMME OFFRANDE, MA JOIE.
Je t'apporte, ce soir, comme offrande ma joie
D'avoir plongé mon corps dans l'or et dans la soie
Du vent joyeux et franc et du soleil superbe ;
Mes pieds sont clairs d'avoir marché parmi les herbes,
Mes mains douces d'avoir touché le cœur des fleurs,
Mes yeux brillants d'avoir soudain senti les pleurs
Naître, sourdre et monter autour de mes prunelles,
Devant la terre en fête et sa force éternelle.
L'espace entre ses bras de bougeante clarté,
Ivre et fervent et sanglotant, m'a emporté,
Et j'ai passé, je ne sais où, très loin, là-bas,
Avec des cris captifs que délivraient mes pas.
Je t'apporte la vie et la beauté des plaines ;
Respire-les sur moi à franche et bonne haleine,
Les origans ont caressé mes doigts, et l'air
Et sa lumière et ses parfums sont dans ma chair.
Emile VERHAEREN
Les Heures d'après-midi
Après des études à Bruxelles, Gand et Louvain, le poète (1855-1916) fréquenta les salons littéraires parisiens et se consacra à son art. Originaire de Saint-Amand, en Belgique, Verhaeren est mort accidentellement en France, en gare de Rouen.