L'ANNONCE FAITE À MARIE

(…)
JACQUES HURY (il regarde qui vient par le sentier sinueux Violaine toute dorée qui par moments resplendit sous le soleil entre les feuilles).
- Ô ma fiancée à travers les branches en fleurs, salut !

Violaine entre et se tient devant lui. Elle est vêtue d'une robe de lin et d'une espèce de dalmatique en drap d'or décoré de grosses fleurs rouges et bleues. La tête est couronnée d'une espèce de diadème d'émaux et d'orfèvrerie.

Violaine, que vous êtes belle !
VIOLAINE. - Jacques ! Bonjour, Jacques !
Ah ! que vous êtes resté longtemps là-bas !
JACQUES HURY. - Il me fallait tout dégager et vendre, me rendre entièrement libre
Afin d'être l'homme de Monsanvierge seul
Et le vôtre.
- Quel est ce costume merveilleux ?
VIOLAINE. - Je l'ai mis pour vous. Je vous en avais parlé. Ne le reconnaissez-vous pas ?
C'est le costume des moniales de Monsanvierge, à peu près, moins le manipule seul, le costume qu'elles portent au chœur,La dalmatique du diacre qu'elles ont le privilège de porter, quelque chose du prêtre, elles-mêmes hosties,Et que les femmes de Combernon ont le droit de revêtir deux fois :
Premièrement le jour de leurs fiançailles,
Secondement de leur mort.
JACQUES HURY. - Il est donc vrai, c'est le jour de nos fiançailles, Violaine ?
VIOLAINE. - Jacques, il est encore temps, nous ne sommes pas mariés encore !
Si vous n'avez voulu que faire plaisir à mon père, il est temps de vous reprendre encore, c'est de nous qu'il s'agit. Dites un mot seulement ; je ne vous en voudrai pas, Jacques.
Car il n'y a pas encore de promesses entre nous deux et je ne sais si je vous plais encore.
JACQUES HURY. - Que vous êtes belle, Violaine ! Et que ce monde est beau où vous êtes
Cette part qui m'avait été réservée !
VIOLAINE. - C'est vous , Jacques, qui êtes ce qu'il y a de meilleur au monde.
JACQUES HURY. - Est-il vrai que vous acceptez d'être à moi ?
VIOLAINE. - Oui, c'est vrai, bonjour, mon bien-aimé ! Je suis à vous.
JACQUES HURY. - Bonjour, ma femme ! bonjour, douce Violaine !
VIOLAINE. - Ce sont des choses bonnes à entendre , Jacques !
JACQUES HURY. - Il ne faudra plus jamais cesser d'être là ! Dites que vous ne cesserez plus jamais d'être la même et l'ange qui m'est envoyé !
VIOLAINE. - À jamais ce qui est à moi cela ne cessera pas d'être vôtre.
JACQUES HURY. - Et quant à moi , Violaine…
VIOLAINE. - Ne dites rien. Je ne vous demande rien. Vous êtes là et cela me suffit.
Bonjour, Jacques !
Ah, que cette heure est belle et je n'en demande point d'autre.
JACQUES HURY. - Demain sera plus beau encore !
VIOLAINE . - Demain j'aurai quitté le vêtement magnifique.
JACQUES HURY. - Mais vous serez si près de moi que je ne vous verrai plus.
VIOLAINE. - Bien près de vous en effet !
JACQUES HURY. - Ta place est faite.
Violaine , que ce lieu est solitaire et que l'on y est en secret avec toi !
VIOLAINE, tout bas. - Ton cœur suffit. Va, je suis avec toi et ne dis pas un mot.
JACQUES HURY. - Mais demain aux yeux de tous je prendrai cette Reine entre mes bras.
VIOLAINE. - Prends-la et ne la laisse pas aller.
Ah, prenez votre petite avec vous qu'on ne la retrouve plus et qu'on ne lui fasse aucun mal !
JACQUES HURY. - Et vous ne regretterez point à ce moment le lin et l'or ?
VIOLAINE. - Ai-je eu tort de me faire belle pour une pauvre petite heure ?
JACQUES HURY. - Non, mon beau lys, je ne puis me lasser de te considérer dans ta gloire !
VIOLAINE. - Ô Jacques ! dites encore que vous me trouvez belle !
JACQUES HURY. - Oui, Violaine !
VIOLAINE. - La plus belle de toutes les femmes et que les autres ne sont rien pour vous ?
JACQUES HURY. - Oui, Violaine !
VIOLAINE. - Et que vous m'aimez uniquement comme l'époux le plus tendre aime le pauvre être qui s'est donné à lui ?
JACQUES HURY. - Oui, Violaine.
VIOLAINE. - Qui se donne à lui de tout son cœur, Jacques croyez-le, et qui ne réserve rien.
JACQUES HURY.- Et vous, Violaine, ne me croyez-vous donc pas ?
VIOLAINE. - Je vous crois, je vous crois, Jacques ! Je crois en vous ! J'ai confiance en vous, mon bien-aimé !
JACQUES HURY. - Pourquoi donc cet air d'inquiétude et d'effroi ?

(…)

Paul Claudel, L'Annonce Faite à Marie (version de 1911). Acte II , scène 3. Théâtre II. Gallimard, Pléiade, p. 48