Le Chinois est peu sensuel, et tout à la fois, l'est beaucoup. Mais finement.

Il n'a guère de littérature érotique ancienne. Il n'est pas troublé par la femme, ni la femme par l'homme. Il n'est même pas troublé au moment où tout le monde l'est. Cela est sans conséquence. Cela ne laisse pas de trace. Non, cela ne lui remue pas le sang. Tout se passe dans un printemps frais encore proche de l'hiver. S'il désire vraiment, ce sera une petite fille qui garde encore la ligne délicate et maigre de l'enfance. Il n'a pas de boue. Les cartes obscènes chinoises sont pleines d'esprit. Sa musique a toujours une âme claire où on passe au travers. Il ne connaît pas le charnel épais de l'Européen, il n'a pas le ton chaud et gros des voix, des instruments de musique, des récits européens, il n'a pas ce sentimentalisme écœurant anglais ou américain, français ou viennois, ce sens du long baiser, de la glu et de l'affaissement de soi.

La peinture chinoise est propreté, absence d'impressionnisme, de tremblement. Pas d'air entre les objets, mais un éther pur. Les objets sont tracés, ils semblent des souvenirs. C'est eux, et pourtant ils sont absents, comme des fantômes délicats que le désir n'a pas appelés. Le Chinois aime surtout les horizons lointains, ce à quoi on ne peut pas toucher.

L'Européen veut pouvoir toucher. L'air de ses tableaux est épais. Ses nus sont presque toujours lubriques, même dans les sujets tirés de la Bible. La chaleur, le désir, les mains qui tripotent.


Henri Michaux, Un barbare en Chine, Coll. Imaginaire, Gallimard