NON, MERCI ! (pourquoi j’exècre le foot)
Par Michel Bellin le mardi 17 juin 2008, 08:26 - Lien permanent
Suivre des yeux une baballe traversant à coups de pied un grand pré fauché tantôt d'un côté tantôt de l'autre, quel intérêt ludique ?
Non, merci.
M'offrir par procuration des frissons, de la bravoure macho la chope à la main et le cul dans le sofa, où est l'exploit athlétique ?Non, merci.
Communier aux transes vociférantes d'Iroquois en délire qui gerbent leurs injures et brandissent des bannières, belle effusion mystique !
Non, merci.
Aduler ces grands benêts en shorts qui se rêvent en stars et empochent des milliards, triste dérive éthique…
Non, merci.
Confisquer les Une et les JT pour d'épiques Euros ou autres Coupes ras-le-ball, belle urgence médiatique !
Non, merci.
Instrumentaliser le Bleu (délavé) en ciment sociétal et exhausteur du moral des ménages, subtile rhétorique !
Non, merci ! Non, merci ! Non, merci !
Or, dis-je et je persiste et signe, rien de nouveau sous le soleil : Panem et circenses disaient les Anciens ; Epate et Audimat clament nos Modernes. Pour finir, ce pays de veaux n'a que ce qu'il mérite : à défaut de blé dans l'escarcelle, dans la mangeoire plasma du foin et, ce soir, la piquette.
C'est chouette !
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Non, merci.
M'offrir par procuration des frissons, de la bravoure macho la chope à la main et le cul dans le sofa, où est l'exploit athlétique ?Non, merci.
Communier aux transes vociférantes d'Iroquois en délire qui gerbent leurs injures et brandissent des bannières, belle effusion mystique !
Non, merci.
Aduler ces grands benêts en shorts qui se rêvent en stars et empochent des milliards, triste dérive éthique…
Non, merci.
Confisquer les Une et les JT pour d'épiques Euros ou autres Coupes ras-le-ball, belle urgence médiatique !
Non, merci.
Instrumentaliser le Bleu (délavé) en ciment sociétal et exhausteur du moral des ménages, subtile rhétorique !
Non, merci ! Non, merci ! Non, merci !
Or, dis-je et je persiste et signe, rien de nouveau sous le soleil : Panem et circenses disaient les Anciens ; Epate et Audimat clament nos Modernes. Pour finir, ce pays de veaux n'a que ce qu'il mérite : à défaut de blé dans l'escarcelle, dans la mangeoire plasma du foin et, ce soir, la piquette.
C'est chouette !
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Et que faudrait-il faire ?
Chercher un protecteur puissant, prendre un patron,
Et comme un lierre obscur qui circonvient un tronc
Et s'en fait un tuteur en lui léchant l'écorce,
Grimper par ruse au lieu de s'élever par force ?
Non, merci. Dédier, comme tous ils le font,
Des vers aux financiers ? se changer en bouffon
Dans l'espoir vil de voir, aux lèvres d'un ministre,
Naître un sourire, enfin, qui ne soit pas sinistre ?
Non, merci. Déjeuner, chaque jour, d'un crapaud ?
Avoir un ventre usé par la marche ? une peau
Qui plus vite, à l'endroit des genoux, devient sale ?
Exécuter des tours de souplesse dorsale ?…
Non, merci. D'une main flatter la chèvre au cou
Cependant que, de l'autre, on arrose le chou,
Et donneur de séné par désir de rhubarbe,
Avoir un encensoir, toujours, dans quelque barbe ?
Non, merci ! Se pousser de giron en giron,
Devenir un petit grand homme dans un rond,
Et naviguer, avec des madrigaux pour rames,
Et dans ses voiles des soupirs de vieilles dames ?
Non, merci ! Chez le bon éditeur de Sercy
Faire éditer ses vers en payant ? Non, merci !
S'aller faire nommer pape par les conciles
Que dans les cabarets tiennent des imbéciles ?
Non, merci ! Travailler à se construire un nom
Sur un sonnet, au lieu d'en faire d'autres ? Non,
Merci ! Ne découvrir du talent qu'aux mazettes ?
Etre terrorisé par de vagues gazettes,
Et se dire sans cesse : "Oh, pourvu que je sois
Dans les petits papiers du Mercure François ?"…
Non, merci ! Calculer, avoir peur, être blême,
Préférer faire une visite qu'un poème,
Rédiger des placets, se faire présenter ?
Non, merci ! non, merci ! non, merci ! Mais… chanter,
Rêver, rire, passer, être seul, être libre,
Avoir l'œil qui regarde bien, la voix qui vibre,
Mettre, quand il vous plaît, son feutre de travers,
Pour un oui, pour un non, se battre, - ou faire un vers !
Travailler sans souci de gloire ou de fortune,
A tel voyage, auquel on pense, dans la lune !
N'écrire jamais rien qui de soi ne sortît,
Et modeste d'ailleurs, se dire : mon petit,
Sois satisfait des fleurs, des fruits, même des feuilles,
Si c'est dans ton jardin à toi que tu les cueilles !
Puis, s'il advient d'un peu triompher, par hasard,
Ne pas être obligé d'en rien rendre à César,
Vis-à-vis de soi-même en garder le mérite,
Bref, dédaignant d'être le lierre parasite,
Lors même qu'on n'est pas le chêne ou le tilleul,
Ne pas monter bien haut, peut-être, mais tout seul !
Edmond Rostand, Cyrano de Bergerac, éd. Pocket, 2005, acte II, scène 8, p. 77-78.