En Europe, tout finit en tragique. Il n'y a jamais eu attrait pour la sagesse en Europe (tout au moins après les Grecs… déjà bien discutables).
Le tragique de société de Français, l'Œdipe des Grecs, le goût du malheur des Russes, le tragique vantard des Italiens, l'obsession du tragique des Espagnols, l'hamlétisme etc.
Si le Christ n'avait pas été crucifié, il n'aurait pas fait cent disciples en Europe.
Sur sa Passion, on s'est excité.
Qu'est-ce que les Espagnols feraient s'ils ne voyaient pas les plaies du Christ ? Et toute la littérature européenne est de souffrance, jamais de sagesse. Il faut attendre les Américains Walt Whitman et l'auteur de Walden pour entendre un autre accent.
Aussi, le Chinois, qui fait peu de poésie crève-le-cœur, qui ne se plaint pas, n'exerce-t-il que peu d'attrait sur l'Européen.Le Chinois regarde la Mort sans aucun tragique. Un philosophe chinois déclare très simplement : « Un vieillard qui ne sait pas mourir, je l'appelle un vaurien. » Voilà qui est entendu.
D'ailleurs, le tiers de la Chine est un cimetière. Mais quel cimetière !
La campagne chinoise, quand je la vis pour la première fois, m'a été droit au cœur. Des tombes, des montagnes entières (ou plutôt le flanc de l'une, le côté Est d'une autre), couvertes de tombes, mais pas de tombes dures et droites, non, d'hémicycles de pierres… qui invitent. Il n'y a pas d'erreur, elles invitent. D'ailleurs, elles n'effraient personne. Tout Chinois a son cercueil de son vivant. Il est à l'aise avec la mort.
Quand un homme meurt dans une province éloignée, on lui prépare, en attendant qu'on puisse le transporter dans son pays, une chambre où les membres de la famille, le fils, la fille etc. viennent, de temps en temps, se retrouver là, méditer un peu, manger, parler, jouer au majong.

Henri Michaux, Un barbare en Chine, Coll. Imaginaire, Gallimard